Comédie dramatique de Martin McDonagh, mise en scène de Sophie Parel, avec Catherine Salviat, Grégori Baquet, Sophie Parel et Arnaud Dupont.
"La Reine de beauté de Leenane" de Martin McDonagh. Comédie noire.
La couleur choisie, la pointe de l’auteur s’enfonce dans la chair de ses victimes : le peuple. Irlande, de nos nuits. Une grabataire geignarde, inconsolable d’être vieille, tyrannise sa fille Maureen, qui a coiffé Sainte-Catherine depuis presque une génération.
Lorsque se présente le charmant et viril Patrick, qui l’admire muettement depuis l’enfance, à la veille d’un départ pour les Amériques, l’espoir s’insinue dans le cœur de l’ex-"Reine de beauté". Mais la mère supportera-t-elle d’être abandonnée au grincement de ses roulettes et à la préparation solitaire de son porridge tiède ?
Martin McDonagh, révélation du théâtre anglo-saxon, réalisateur du cruel et décoiffant film "Bons baisers de Bruges", écrit comme le peuple inculte doit parler, sans subjonctif, sans conditionnel, traduit par Gildas Bourdet (qui ne nous épargne pas ces horribles "du coup" répétés) et éponge toute forme d’espoir, laissant le comédien absolument libre d’y ajouter une humanité de l’instant.
Parodie, "insectisation", description de l’abandon total de ce peuple d’Irlande, moqué par ses anciens maîtres britanniques, subventionné comme on alcoolise, réduit au flairage de ses instincts : la fable déchiquète.
Les comédiens déboulent dans ce tunnel un peu glacé pour y installer leur vie, leurs mots, leurs émotions. Et quels comédiens !
Catherine Salviat, de la Comédie-Française, miracle de petite femme à l’ombre géante, endosse le peignoir sale et chausse les pantoufles de la vieille abominable, qui n’a jamais un geste d’humanité. Elle souffre, beaucoup, et partage sa douleur avec une immense générosité, mentant, trichant, mutilant. Le personnage dérange. Elle sait faire, Catherine Salviat.
Dans le rôle du bon Pat, crème d’homme, délicat, pudique, Grégori Baquet réussit une superbe composition d’acteur, sensible, inventif, charmeur, passant la porte de cette geôle mère-fille comme un vent frais et s’incarnant en ce vent frais.
La Reine de beauté, la fille, la possible fiancée de Patrick, c’est Sophie Parel, qui est aussi le metteur en scène inspiré de la pièce, excellente comédienne, tout en jambes, passant de la vulgarité la plus poisseuse à la sensibilité morte des folles, très convaincante, très juste en victime récalcitrante et résignée…ou presque.
Enfin, mention spéciale au "messager", le frère de Pat, Ray, émouvant Arnaud Dupont, bouille de gosse perdu, qui gratte toujours son horrible pantalon de survêtement de tous les jours, gris et semblables, racontant ses impossibles départs et ses révoltes que la télévision ensuquera.
Voilà du théâtre de comédiens. Qui aiment avec passion et donnent tout. |