La Maison sous les eaux
(La Grange aux Belles / Modulor) septembre 2016
"Huit morceaux à la beauté noire réverbérée par l’écho minéral d’une église savoyarde"
A l’origine de cette promesse épiscopale, il y a un ancien espoir du rock et un blasé du goudron : Sammy Decoster et Fabien Guidollet. Tous deux saisis de la phobie du speed, ils s’en furent loin du monde, sans se connaître. Alors que Sammy cherchait à percer le mystère de la boisson verte à 55 degrés, il se retrouva sur les rivages d’un lac de montagne, là où on avait retrouvé la besace d’un moine Chartreux. C’est là qu’il rencontra Fabien, contemplant les doux froissements de la surface de l’eau.
De méditations en partage d’astuces pour survivre dans une caravane pendant un orage dans le massif de la Chartreuse, les deux inconnus s’accordèrent sur la même longueur de corde et commencèrent à gratter de l’instrument, comme ça, pour voir. La maison sous les eaux est le bébé de ce binôme au coin du feu.
Rebaptisés Facteurs chevaux, les compères aiment se produire dans des grottes ou des églises à l’acoustique mystique. Entre recueillement et méditation, l’album est une parenthèse de calme au beau milieu d’un spot à champignons. Juste avant que les ombres se changent en loup, quand les rayons se frayent un chemin à travers les branches et que bruissent les ramages. Un moment suspendu où une biche arrête sa course pour plonger ses yeux dans les vôtres, puis bondit silencieusement hors de votre vue… Plongée dans la quiétude…
Quelques cordes finement pincées, une harpe, une guitare sèche et un murmure, une voix, deux voix qui s’accordent parfaitement. Le son qui arrive aux entrailles après moult réverbérations sur des voûtes séculaires est une toile subrepticement tissée de doigts délicats. Il s’immisce dans vos tympans pour vous faire vivre une expérience chamanique vers l’au-delà.
Les textes sont une invitation au rêve et au voyage intérieur. "Immobile comme un pied de chaise, j’attends la marée sur la grève, un coquillage contre l’oreille" ("Scie"). "Je peux voir au loin même si la route est sombre, je peux voir au loin même quand tout s’effondre" ("Valhalla"). "Derrière ma fenêtre, je quitte mon être, lentement je passe dans le bois d’en face" ("If le grand If").
La maison sous les eaux est la bande son des amateurs de jeu de pensées, des têtes dans les nuages et des délires imaginaires, mais ce n’est pas un album de méditation, il y a la compilation des cris de baleines pour ça, nous en sommes loin.
Sammy et Fabien nous proposent des morceaux complexes et profonds, où l’amertume sourde entre les lignes, puisque nous sommes nos propres bourreaux. "Demain est-ce qu’on fera pareil, en égorgeant ceux qui nous gênent, pour repeindre de sang le soleil ?" ("Les renards").
Sombre et viscéral, Facteurs chevaux révélera le fantasque bipolaire en vous. De l’analyse des sens à l’émerveillement, l’album est à prendre comme un tout, don d’ubiquité en prime. Vous serez simultanément dans les bouchons et dans une clairière, les truculents klaxons se transformeront en clapotis de ruisseaux, sentez cette odeur de champignons, c’est le sous bois qui vient à vous. Il ne manque plus qu’un petit bout de fromage et l’instant est parfait.