Monologue dramatique d'après un récit de Victor Hugo interprété par Julien Rochefort dans une mise en scène de Sylvie Blotnikas.
Il fut un temps où le "Victor Hugo, hélas !" d'André Gide résonnait dans le Landerneau littéraire.
Et pourtant, dès qu'apparaît sur scène Julien Rochefort, dans un costume qui ne le date qu'à cause de la large cravate de soie et de son gilet sous sa veste, et qu'il prononce les premiers mots pour relater son voyage de l'été 1843, la cause est entendue : Hugo est un immense écrivain et pas ce monument d'airain et d'ennui suggéré par le perfide Gide.
Pour voyager, Hugo précise d'emblée qu'il n'a besoin que d'un carnet et d'un peu d'eau fraîche. Que cela ne tienne ! Sur la scène vide, il n'y a qu'un tabouret sur lequel Julien Rochefort va prendre un carnet noir et une petite bouteille d'eau en métal.
Paré pour son périple, le voilà déjà en route dans la malle-poste. Car, et il y fera souvent allusion, ce voyage marque peut-être la fin d'une époque, alors que le chemin de fer entame son développement.
Traversant la France de Paris à Biarritz, Hugo s'installe peu à peu dans ce voyage entre nostalgie et aventure. Allant au gré de sa fantaisie, il est soudain confronté à son passé et retrouve des souvenirs du temps de sa petite jeunesse, quand son père, le général Hugo, combattait en Espagne.
D'abord volubile, les mains agitées comme des moulinets, Julien Rochefort a la belle voix légère, l'oeil bleu pétillant, et, par moments, donne l'impression que Victor Hugo avait quelque chose en lui de Jean d'Ormesson.
Et l'on se dit qu'à 41 ans, Victor Hugo, poète et dramaturge célèbre - au point de voyager sous le nom de "Monsieur Gault" et de se cacher ses traits sous un chapeau - devait bien avoir l'élégance et la superficialité brillante de notre Jean d'O.
Dans "Pyrénées", on découvrira avec étonnement que le futur auteur des "Misérables" anticipait Marcel Proust. Ici, pas question de madeleines ni de pavés pour que reviennent les temps perdus, mais d'une charrette à bœufs espagnole et d'une jeune fille blonde porteuse des premiers émois enfantins d'un apprenti sensuel.
Julien Rochefort emporte tout son auditoire dans ce dernier grand voyage insouciant de Victor Hugo. Ce beau récit à l'écriture joyeuse, qui ne sera publié qu'après la disparition du grand homme, est porteur malgré lui d'un drame tout proche.
On laissera aux nombreux spectateurs qui devraient venir applaudir Julien Rochefort vivre cet instant inattendu où la vie d'Hugo bascule. Parti le cœur léger, sans autre idée que de profiter d'un monde où tout lui sourit, Hugo s'en reviendra dans la gravité.
Il est désormais mûr pour construire une œuvre forte et indestructible, dans laquelle, parfois, résonneront de petits échos des temps heureux où il pouvait noter une réflexion dans son carnet noir en buvant une petite gorgée d'eau...
Cette adaptation de "Pyrénées" par Sylvie Blotkinas, qu'elle gratifie d'une mise en scène à l'épure intelligente, a le mérite de bien faire entendre la prose hugolienne. On n'oubliera pas de si tôt, cette belle heure menée bon train par un Julien Rochefort inspiré par le souffle du poète. |