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puce Rétrospective Josef von Sternberg - L'Impératrice rouge
Cinémathèque française  septembre 2016

Josef von Sternberg a le privilège de faire partie de ce groupe très sélect de cinéastes dont l’intransigeance sur les plateaux était devenue proverbiale à Hollywood. Il y retrouve une gracieuse compagnie : celle de Stroheim (surnommé "L’homme que vous allez adorer haïr") et de Wilder, entre autres.

On craignait un peu ces auteurs géniaux dont la volonté de contrôle était absolue, et on adorait pouvoir les dépeindre comme des pervers sadiques dont les frasques et les colères ruinaient les studio et faisaient pleurer les actrices.

Dans son autobiographie, "Fun in a chinese laundry", Sternberg rapporte certaines de ces accusations ; s’il en profite pour se défendre, il continue ainsi à établir son image d’homme harcelé par une profession ingrate. Et il n’hésite pas à revendiquer cette intransigeance, ce désir d’invention permanent qui est à l’origine d’une œuvre des plus fascinantes.

Sternberg ne recule devant rien pour créer des univers délirants dont le moindre détail est minutieusement travaillé. Dans ce délire créatif, démiurge tout-puissant et omniprésent, il fait régner une atmosphère saturée d’érotisme et de violence.

Bien sûr, Sternberg n’est pas seulement connu pour la création d’un monde, mais également pour la création d’une femme. Il voyait en Marlène Dietrich son Eliza Doolittle : de Marie Magdalene Sieber, médiocre artiste de théâtre berlinoise, il s’enorgueillit d’avoir façonné une femme, une star, Marlene Dietrich.

Au cours des sept films qu’ils tournèrent ensemble, il forge son attitude, son corps, son visage jusqu’à en faire ce parfait objet du désir, centre d’un monde où le mobile des actions humaines se trouve dans les pulsions.

Sternberg sculpte le visage de Marlene Dietrich en disposant judicieusement un ensemble complexe de lumières. On raconte même que lors de son premier tournage avec Mamoulian, Dietrich, désespérée, avait appelé Sternberg pour qu’il explique à son confrère comment disposer les sept lumières qui rendaient son visage si fascinant.

Mais ces sept œuvres flamboyantes ne doivent pas faire oublier l’ensemble de la carrière de von Sternberg, et c’est tout à l’honneur de la Cinémathèque française de le rappeler avec cette rétrospective qui se tiendra du 31 août au 25 septembre 2016.

Cette rétrospective sera l’occasion de découvrir les œuvres muettes de Sternberg, et ce pour au moins deux raisons. D’abord, parce que l’on n’a trop rarement l’occasion de voir ressortir à Paris des films muets ; ensuite parce que Sternberg voyait dans le cinéma muet la possibilité d’ "un langage universel évolué» (p.235), là où le parlant, "Tour de Babel", annonçait l’ "âge de la redondance", où "les mots se préparaient non seulement à appuyer mais aussi à remplacer les images" (p.236).

Cet âge du langage universel, Sternberg le regretta sans doute longtemps : toujours dans son autobiographie, il rapporte des récits drolatiques sur le tournage de "L’Ange bleu" ou de" I, Claudius" (film inachevé dont la Cinémathèque projettera un extrait) où la confrontation avec Jannings ou Laughton fut terrible.

On a aussi envie de découvrir "Fièvre sur Anathan", dernier film de Sternberg filmé dans ce Japon qui l’intéressait tant, lui le voyageur curieux. On imagine déjà une œuvre à l’érotisme moite, toute aussi ambitieuse que ces films précédents.

Et enfin, comment ne pas avoir envie de redécouvrir "Shanghai Gesture", où Sternberg entraine la sublime Gene Tierney au bord de l’abime dans le monde clos d’une salle de jeu ?

Dans les vapeurs de la drogue, des femmes déchues et des hommes perdus trainent leur misère, tandis que des filles enfermée dans des cages sont suspendues au-dessus du vide et vendues au plus offrant. Claude Chabrol, qui adorait ce film, décrivait avec émotion cette scène où Victor Mature tripote les boutons qui ornent l’épaule de la robe de Gene Tierney. Tout le film est à l’image de cette séquence : troublant et capiteux.

L’Impératrice rouge
Réalisé par Josef von Sternberg. Etats Unis. Drame historique. 1h50 (Sortie 1934). Avec Marlene Dietrich, John Lodge, Sam Jaffe, Louise Dresser, Gavin Gordon, C. Aubrey Smith, Ruthelma Stevens et Heinrich von Twardowski.

"Le film était une implacable excursion de style, chose impardonnable dans notre medium, bien que normale dans toutes les autres œuvres d’art. Les chatoiements de la Russie de la Grande Catherine étaient évoqués dans toute leur grandeur, même s’il s’agissait d’un recréation et non d’une réplique.(1). Cette excursion de style, il fallait bien le grand écran de la salle Henri Langlois pour lui rendre correctement hommage.

Car le film est bien un choc visuel. Dans cette Russie réinventée par un démiurge fou, tout concourt à créer un monde à la fois sublime et inquiétant. "A une seule exception, chaque détail, paysage, peinture, sculpture, costume, intrigue, photographie, chaque geste des comédiens était dominé par moi.(2)", affirmait tranquillement Sternberg.

Cette volonté de contrôle absolue est sans doute un fantasme, mais rares sont les films qui l’ont rendue si glorieusement manifeste. Raconter l’histoire du film est donc un moyen bien maigre pour approcher de sa substance.

Dans "Blonde Venus", Sternberg faisait sortir la sublime Marlène Dietrich d’un déguisement de singe ; ici, c’est aussi l’histoire d’une métamorphose qu’il nous conte, celle d’une petite fille, innocente et pure, en une femme puissante et dominatrice. Plongée dans un monde d’une extrême violence, déçue en amour, Catherine, dépossédée de son ancienne identité, se reconstruit un personnage.

Sternberg fait de cette Russie de la folie un univers baroque, où se mêlent légèreté et violence. Ces deux éléments semblent d’ailleurs n’être que les deux faces d’une même pièce.

C’est en tout cas ce que souligne un montage audacieux, ainsi, le cinéaste, par un fondu enchainé, assimile le mouvement que subit un homme sous la torture avec celui du corps de la jeune Catherine, se balançant avec insouciance dans une séquence qui n’est pas sans évoquer Une partie de campagne par le choix audacieux de l’angle de vue (la caméra est presque sous les jupons de la future impératrice de Russie).

L’utilisation des décors a sans doute été d’une grande influence sur Eisenstein. Le château de la famille royale est orné d’immenses statues sculptées grossièrement dans le bois. Ces figures sont des personnages à part entière de l’action : mauvais démon qui orne un miroir, voyeurs qui entourent le lit conjugal, crucifiés qui recueille des corps morts… Saints, martyrs, diables et madones accompagnent de leurs regards les personnages, tandis que sur les murs, des fresques assez cauchemardesques semblent fixer avec mépris les gestes des hommes.

Cette obsession du regard est l’une des constantes du film. Dans une scène grotesque, le débile Pierre III s’empare d’une sorte de foreuse géante pour percer des trous dans les murs, espionnant ainsi sa femme et sa mère. Catherine est celle qui sait jouer avec ce désir de voir, qui est autant celui de tous les personnages du film, pour lesquels elle est un objet de désir aussi absolu qu’inatteignable, que celui du spectateur, voyeur privilégié qui est le seul à voir la jeune femme en tenue légère dans sa chambre.

Ainsi, le personnage de Marlène Dietrich joue-t-il en permanence à se dérober à notre vue. Sternberg prouve encore une fois sa maitrise des voiles en tout genre, du bandeau de dentelle qui couvre les yeux de son héroïne aux voiles de son lit, en passant par la voilette qui dissimule en partie ses traits.

Là, tout est érotisme et mort. Erotisme : Marlène Dietrich apparaît dans des tenues plus sensuelles les unes que les autres : plumes, fourrures, tout évoque une sensualité animale dont l’héroïne a su à merveille s’approprier les codes. Mort : Sternberg s’amuse à placer entre les mains de son personnage toutes sortes d’armes.

Petite fille, elle demande ingénument si elle pourrait être bourreau ; plus tard, son futur amant lui glisse entre les mains un fouet ; elle le menace d’une cravache, porte une baïonnette, avant d’affirmer sa puissance en apparaissant costumée en soldat.

Face aux grotesques jouets de son mari, qui égare des soldats de plomb partout et fait défiler ses hommes à l’intérieur même du palais par temps de pluie, elle est la vraie puissance virile, bien que ce soit surtout par ses charmes féminins qu’elle parvient à mettre de son côté les soldats.

A la fois homme et femme, cette créature est bien l’une des créations les plus fascinantes de Sternberg.

 

(1) STERNBERG Josef von, De vienne à Shanghai, les tribulations d’un cinéaste, Cinémas Flammarion, 1989, p.282
(2) Ibid p.283


Anne Sivan         
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