Comédie dramatique de Terence Rattigan, mise en scène de Patrice Kerbrat, avec Jean-Pierre Bouvier, Marie Bunel, Benjamin Boyer, Pauline Devinat, Philippe Etesse, Nikola Krminac et Thomas Sagols.
Situé dans un temps lointain, celui où le grec et le latin constituaient les "humanités" des élèves d'un collège chic anglais, "La version Browning" n'a pourtant rien de daté.
Malade, le professeur Crooker-Harris doit quitter l'établissement où il enseigne depuis dix-huit ans. La journée décrite dans la pièce de Terence Rattigan résume de manière dramatique la somme des échecs d'une vie vouée à l'enseignement du grec et qui n'a pas apparemment tenu aucune de ses promesses.
Craint de ses élèves avec qui il a perdu le fil et la joie d'enseigner, englué dans un mariage qui bat de l'aile, il n'aura même pas la satisfaction d'un "beau départ".
Quand Anthony Asquith porta la pièce à l'écran, avec comme scénariste son auteur, les distributeurs français ne reprirent pas comme titre "La version Browning" et préférèrent l'intituler "L'ombre d'un homme", ce qui résume finalement assez bien la situation.
Dans un décor unique d'Edouard Laug, censé être celui du bureau-salon du professeur, et qui raconte bien le cadre faussement confortable dans lequel évolue le couple Crooker-Harris, la tension est palpable. Chaque personnage qui se succède porte un coup de plus à l'enseignant.
Pour jouer Edward Crooker-Harris, qui porte sur ses épaules la pièce entière, il faut un acteur incontestable. Asquith avait choisi Michael Redgrave, qui reçut le prix d'interprétation à Cannes. Dans la seconde version cinéma, celle de Mike Figgis, c'est l'immense Albert Finney qui jouait le professeur.
On peut, sans le faire rougir, dire qu'ici, dans cette limpide adaptation de Patrice Kerbrat, Jean-Pierre Bouvier est du même calibre que ces deux mythiques acteurs anglais. Les yeux souvent fermés ou mi-clos, c'est à la voix qu'il rayonne sur le monde hostile qui l'entoure.
Dans ce texte subtil, on ne sait que tardivement s'il a conscience de la duplicité de son entourage et si, en pur esprit, il s'est suffisamment extrait du monde et réfugié dans son "Agammenon" d'Eschyle, pour faire fi du reste.
Quant à sa relation délétère avec son épouse, sorte de Madame Bovary pour campus, elle prend peu à peu une forme très acérée. Telle qu'elle est rendue par le couple Jean-Pierre Bouvier-Marie Bunel, elle a quelque chose à voir avec "La Danse de mort" de Strindberg. L'âge venant, ces deux-là sont condamnés à cohabiter et, au moment où s'achève "La version Browning", on imagine que le pire est devant eux.
Ainsi, cette pièce écrite il y a plus de soixante ans est étonnamment actuelle par la puissance des situations et des personnages créés par Terence Rattigan. C'est désormais un "classique" que Patrice Kerbrat a su monter intelligemment sans chercher à la moderniser à tout prix.
Cette "version Browning" sera, à coup sûr, un des succès de la saison à venir. |