Comédie dramatique écrite et mise en scène par Judith Bernard, avec Judith Bernard, Gilbert Edelin (en alternance David Nazarenko), Benjamin Gasquet, Antoine Jouanolou, Toufan Manoutcheri et le musicien Frédéric Harranger.
"Amargi", cela veut dire "retour à la maison" en sumérien et il faudra aller voir le spectacle écrit et mis en scène par Judith Bernard pour savoir ce que cela signifie vraiment et quel rapport ce mot à avec la thématique de la dette qu'elle y développe. On avait laissé Judith Bernard à l'époque où elle adaptait sur scène Frédéric Lordon, d'une part le Lordon très percutant, et en alexandrins s'il vous plaît, d' "Un retournement l'autre", et d'autre part, le Lordon plus fumeux, tentant la fusion entre Marx et Spinoza, dans "Bienvenue dans l'Angle Alpha". Cette fois, elle adapte et joue son propre texte, un texte volontairement didactique sur l'histoire de la dette, et donc qui tente d'expliquer comment s'organisent autour de ce phénomène les sociétés et les civilisations, de l'Antiquité à nos jours, voire même aux jours futurs. Avec des partenaires complices, prêts pour toutes les transformations, elle réussit à mettre en scène avec des cerceaux, des balles et des bristols de couleurs ce que s'endetter veut dire pour les humains depuis la nuit des temps. Ce "Que sais-je" qui s'égrène en direct est propice à d'amusantes - et instructives - saynètes qui mériteraient que l'on prenne des notes pour en saisir toute la substantifique moëlle.
Car ce que propose Judith Bernard est un assez époustouflant tour de la question de la dette, avec banqueroute de Law, assignats, hyperinflation germanique à l'époque de la république de Weimar et théorie utopique de David Graeber, l'une des têtes pensantes d'"Occupy Wall Street", dont elle ne se cache pas s'être inspiré. Ce "théâtre théorique", qui essaie de penser joyeusement et de donner au spectateur l'occasion d'en faire autant, est finalement d'une grande originalité et mérite d’été découvert puisqu'il réussit à divertir en ouvrant l'esprit. Même si on sent que le néo-libéralisme n'est pas la tasse de thé de l'auteur, on peut lui reconnaître le mérite de ne pas verser dans la thèse. Elle propose et son auditeur disposera. Libre à lui d'accepter et d'adhérer à ce qu'elle dit. Il peut, sans s'ennuyer ni s'énerver, entendre la parole prononcée et ne point y adhérer. Il aura, quoi qu'il en conclut, passer une agréable soirée avec un théâtre en mouvement, astucieux et malicieux, riche en contenu et généreux en effets scéniques. On soulignera, au passage, la performance aussi physique que ludique du quintet mené par Judith Bernard, avec Gilbert Edelin, Benjamin Gasquet, Antoine Jouanolou et Toufan Manoutcheri... sans oublier Frédéric Harranger aux nécessaires percussions ! Que l'on admette ou non la nécessité d'annuler la dette, on tombera d'accord sur un point : il faut aller voir "Amargi" pour en savoir plus sur la question et devenir, sans trop se fatiguer, plus savant sur le sujet. |