Réalisé par John Carney. Islande/Grande Bretagne/Etats Unis. Comédie dramatique. 1h46 (Sortie le 26 octobre 2016). AvecFerdia Walsh-Peelo, Lucy Boynton, Jack Reynor, Maria Doyle Kennedy, Aidan Gille, Kelly Thornton, Mark McKenna et Conor Hamilton.
Impossible de ne pas l’avoir remarqué, impossible de l’éviter : depuis quelques temps, les années 80 sont à la mode. Les pulls en angora bleu électrique, les bombers et autres pull de Noël dignes de celui de Marc Darcy dans Bridget Jones surgissent de partout. Y compris au cinéma.
A première vue, "Sing Street" est un autre film de jeune-avec-des-problèmes-qui-se-révèle-à-l’aide-de-la-musique, transposé avec une certaine nostalgie dans ces années où le vidéo-clip faisait ses débuts et où l’on s’échange des vinyles.
A première vue également, le réalisateur John Carney reprend des recettes qui avaient fait le succès de ses premiers films. A savoir : une jeune personne, musicienne et talentueuse, fait une rencontre qui change sa vie, et lui permet de faire vraiment de la musique. C’était un jeune Irlandais et une immigrée d’Europe de l’Est dans "Once", une jeune femme au cœur brisé et un producteur musical has-been dans "New-York Melody".
Mais John Carney semble bien conscient de la répétition de son sujet, et joue avec l’horizon d’attente du spectateur : "Qui est la fille ?" s’exclame Brendan quand son frère lui demande de l’aide pour se mettre à la musique.
Oui, il y a toujours une fille, Brendan comme le spectateur le savent pertinemment. Celle-ci s’appelle Raphina, et, sous les brushings léonins et une couche épaisse de maquillage aux couleurs pop, elle a la douceur et la fragilité que son prénom laissait deviner. Pour elle, Conor apprend à chanter et à composer.
Sur cette trame classique, John Carney dessine un émouvant portrait de jeune homme. La musique n’est pas seulement le prétexte pour faire un film agréable, ce que "Sing Street" est. Elle devient le fil d’une quête d’identité dans un contexte de crise. En effet, le jeune Conor doit affronter tout à la fois les difficultés financières de sa famille, le divorce de ses parents, les violences multiples dont il est victime à l’école. Le monde décrit est en réalité assez sombre et dur. Et la musique devient le refuge de Conor.
Elle est aussi prétexte à nouer des liens. Par son intermédiaire, Conor se fait des amis ; elle lui permet de se rapprocher d’une fille en apparence inaccessible. Surtout, elle (ré)unit Conor et son frère Brendan. Aux yeux de Conor, Brendan est un modèle, libre-penseur, philosophe, connaisseur de la vie et des filles. Il lui fait écouter la musique qu’il aime, ce qui donne lieu à d’assez drôles recherches musicales et vestimentaires chez l’adolescent.
Peu à peu, cette figure idéalisée, protectrice dans une famille qui implose, montre ses failles; Conor, riche de sa nouvelle identité, de sa liberté et du sentiment de puissance que lui donne la musique, commence à percevoir son frère pour ce qu’il est, et ce qu’il laisse parfois transparaître : un jeune homme paumé, déçu du monde et de lui-même, incapable d’affronter un monde qu’il regarde depuis la fenêtre de sa chambre.
Brendan, Conor et sa sœur Ann se réfugient dans la chambre du grand frère pour fuir les disputes de leurs parents, et la menace de la séparation à venir. Dans une séquence émouvante, la sœur, souvent mise à distance par les deux garçons, dansent avec eux sur la musique, tandis que les parents se déchirent au rez-de-chaussée.
Le film est construit sur un principe d’ouverture : de la chambre réconfortante de Brendan, qui est cocon mais aussi prison, Conor passe à l’école, aux parcs, à la mer, jusqu’à conquérir pleinement - même si ce n’est sans doute que pour un court moment - sa liberté.
En effet, la fin du film est d’abord présentée comme un moment de joie et d’optimisme. Mais très vite, des indices donnent à craindre que ce moment de grâce ne soit de courte durée. On aurait presque envie de le lire comme un prequel de "Once" : Conor quitte l’Irlande pour Londres, or, "Once" raconte l’errance d’un Irlandais perdu à Londres, quitté par sa petite amie. Chez John Carney, les histoires d’amour ont souvent un goût d’inachevé. |