Avec "Tenue correcte exigée - Quand la mode fait scandale", le Musée des Arts décoratifs
propose une exposition aussi singulière qu'ambitieuse car réflexive et se situant aux confins de l’histoire sociale et de l’histoire des modes.
En effet, elle concerne les évolutions et les ruptures qui ont affecté le port et la mode du vêtement de ville
et déclenché parfois de vives polémiques allant parfois jusqu'à l'intervention législative pour édicter des interdictions avant d'entrer dans les moeurs.
Denis Bruna, conservateur des collections Mode et Textiles antérieures au 19ème audit musée qui en assure le commissariat, a relevé le défi et réussi l'exercice d'autant plus difficile qu'il couvre une large période,
du 15ème au 21ème siècle, et que le vêtement, au-delà de son aspect purement fonctionnel, revêt une dimension sémiotique et, de surcroît, polysémique.
De plus, le vêtement est directement impacté
par la stratification sociale, le vêtement comme reflet de la condition sociale dans toutes ses déclinaisons jusqu'au communautarisme ainsi qu'indice voir symbole culturel ou cultuel contrairement au proverbe de l'habit ne fait pas le moine, et la sexuation de la société qui entraîne la différenciation des vestiaires masculin et féminin.
Tenue correcte et scandale, quand trop c'est trop
Denis Bruna a utilisé l'espace d'exposition dédiée à la mode qui comporte deux niveaux pour ordonner une démonstration en deux parties complémentaires qui se développe selon l'approche analyse-synthèse.
D'une part, au plan analytique, avec un parcours chrono-thématique consacré à l'identification des bouleversements considérés comme majeurs qui résultent d'une volonté, souvent subversive, de transgression des codes établis.
Dont le code vestimentaire, qui tendait à l'uniforme social, imposé par la classe dominante, avec l'étiquette du 18ème siècle puis le guide des bonnes manières bourgeoises du 19ème, qui s'est effacé, au siècle suivant, au profit de la démocratisation de la mode.
Les phénomènes significatifs qui ont engendré la réprobation ressortent à la confusion des genres.
Ainsi en est-il avec le vêtement négligé ou le déguisement qui est porté comme un vêtement de ville et davantage encore le port en extérieur de vêtement d'intérieur ou de sous-vêtements
avec la suppression de la frontière entre le privé, voire l'intime, et le public.
Bien évidemment, la cause principale du "scandale" tient au floutage de la démarcation genrée et notamment le port du pantalon par la femme, depuis les femmes "chasseresses" et les garçonnes, qui a entraîné l'appropriation féminine d'une pièce de vêtement devenue le symbole de la virilité et de la puissance masculine.
Mais l'inverse, malgré les tentatives réitérées d'introduction de la jupe dans la garde-robe, ne s'est pas produit et n'a généré qu'un relatif tohu-bohu dès lors qu'elles ne ciblaient qu'une certaine catégorie d'hommes.
D'autre part, le commissaire a procédé de manière synthétique pour fédérer et apparier sous la formule significative du "Trop, c'est trop !", constante commune à toutes les époques, les pièces de siècles différents qui ont été vouées aux gémonies parce que
considérée comme une offense au bon goût du temps.
De trop en trop, trop court, trop large, trop décolleté, trop haut, trop moulant et d'autres, c'en est trop et l'excès est vilipendé avec, en tête de gondole, la longueur. Car si le raccourcissement progressif du vêtement féminin est intervenu de manière progressive, celui radical opéré par la mini-jupe fit scandale.
De même pour le trop transparent dont la reine Marie-antoinette fut la précurseur en se faisant portraiturée en chemise par Elisabeth Vigée-Lebrun et le plongeant considéré comme une marque de dévergondage et de moeurs libertines en ce que le vêtement destiné à dissimuler le corps laisse voir les parties érogènes en contravention avec les règles de la pudeur et surtout le pharisaïsme bourgeois.
Et la fameuse robe au dos dénudé portée par Mireille Darc dans le film "Le grand blond avec une chaussure noire" voisine avec la robe au "grandd décolleté" du 17ème siècle qui découvrait la pointe des seins et le bikini qui ne cachait que ce qu'il exacerbait.
Pour le vestiaire masculin, la largeur disproportionnée du pantalon resurgit régulièrement depuis la culotte bouffante du 17ème siècle aux baggys des années 1990 en passant par la mode des Zazous pendnat la période de l'Occupation.
L'exposition offre donc un large champ d'exploration et de réflexion sur la signification du vêtement hors des postures exhibitionnistes ou esthétiques comme véhicule de transgression, provocation, extravagance et excentricité d'autant que, depuis la deuxième moitié du 20ème siècle, coexistent la "street mode", avec les tendances marginales mais nettement identifiables de la rue qui inventent de nouveaux codes communautaires tels le look hipster et le normcore, et la mode des créateurs qui défile à la Fashion Week.
Et elle se clôt avec les modèles de quelques défilés des trois dernières décennies qui, à défaut de scandaliser l'opinion publique, ont fait couler beaucoup d'encre dans les magazines telle la collection Christian Dior Printemps-Eté 2000 pour laquelle le styliste John Galliano revisite de la mode grunge des années 1970 et l'engouement pour le vintage en la plaçant sous le thème "clochard" et initie la tendance
"homeless-chic" qui, depuis, a fait florès tant chez les designers underground que chez l'inoxydable papesse de la mode anglaise Vivienne Westwood. |