Spectacle conçu et mis en scène par Pippo Delbono, interprété par Pippo Delbono, Dolly Albertin, Gianluca Ballarè, Bobò, Margherita Clemente, Ilaria Distante, Simone Goggiano, Mario Intruglio, Nelson Lariccia, Gianni Parenti, Pepe Robledo, Grazia Spinella, Nina Violić, Safi Zakria et Mirta Zečević.
Triple challenge que l'exercice imposé, sans échappatoire possible car relevant d'un devoir sacré, pour un artiste se proclamant athée que de concevoir un spectacle sur les Evangiles pour délivrer un message d'amour au monde.
D'autant que les écrits canoniques, comme nombre de textes théologiques fondateurs, ont été, de tous temps et sous toutes les latitudes, été instrumentalisés par les pouvoir de toute nature et les fanatismes pour légitimer la barbarie et la soumission des peuples.
Défi relevé par le "Vangelo" de Pippo Delbono executant les dernières volontés de sa mère aimante et aimée avec laquelle il conversait dans une vidéo projetée dans "Dopo la battiglia", femme pieuse et catholique pratiquante le chargeant d'une mission quasi-christique.
Certes, l'auteur, metteur en scène, acteur et réalisateur italien ne partait pas en terrain inconnu avec cette thématique qui innerve toutes ses créations et sa conception de la vie comme un chemin de croix profane même s'il est devenu bouddhiste. Au demeurant, rien de plus mystique que les catholiques "défroqués", ceux élevés dans la tradition religieuse puis devenus totalement athées ou convertis à une spiritualité dépourvue de dieu créateur.
Depuis quelques années, refusant de participer au simulacre de la représentation, position de principe énoncée dans son opus "Orchidées", Pippo Delbono s'oriente vers une configuration ardue et exigeante, celle de la combinaison de la transcendance et de la dénonciation politique, en l'espèce, celle de la gestion du flux migratoire.
Par ailleurs, il se positionne en parrèsiaste dans des biodrames empreints de quête métaphysique et spirituelle et de croyances et de convictions personnelles délivrés sous forme essentiellement performative et mosaïcienne.
Sous l'égide du baroquisme, de la picturalité transgressive du Caravage à l'alternative mystique de Pasolini avec l'attrait pour les "borgate", "Vangelo" décline le mythe urbain de la Cour des Miracles comme creuset de l’authenticité humaniste et de sa trinité "amour-beauté-joie", et la figure christique de l'exclu sociétal quel qu'il soit, faible, déclassé, marginal, différent, et, désormais, du migrant, érigé en martyr contemporain.
Car Pippo Delbono se place du côté de "ceux qui vivent comme des assassins sur terre, comme des bandits au fond des mers, des fous à ciel ouvert" à qui sont destinées les fameuses "Béatitudes" tant dévoyées par les gouvernances.
Dans "Vangelo", sur un fond musical composé d'airs opératiques et de chansons de variétés des années 1970, de la chanson gay italienne à l'opéra-rock "Jésus Christ Supertstar", et avec des insertions vidéos, dont une vidéo-selfie de sa déambulation hospitalière et quelques images de son film éponyme sur un camp de migrants, il rassemble et déploie nombre de ses récurrences.
Les membres de sa compagnie - dont Bobò, le sourd-muet déguisé en diable jouant du violon évoquant la "Sonate des trilles du Diable" de Tartini, Gianluca Ballarè campant un enfant Boudha blanc et rose dans son lit-cage et Nelson Lariccia qui prête son physique décharné au Christ de la passion - auxquels se joignent des comédiens du Théâtre National Croate, se livrent à des pantomimes déclinant topos bibliques et métaphores iconographiques.
La parole est le domaine réservé de Pippo Delbono qui, naviguant entre salle et scène, délivre son verbe profératoire riche en imprécations homilétiques et harangues furieuses, honnit le Dieu paradoxal, préfère le Diable vu comme un diablotin chantre de la liberté sexuelle et prône la vertu théologale de la charité. Et il danse aussi, sa danse-signature de vie et de mort.
La tiédeur n'est pas de mise pour ses spectacles, dont celui-ci qu'il veut "une fête et une provocation à la fois". On aime ou on déteste. |