Un spectacle de Sentimental Bourreau, textes de Georges Bataille, Fédor Dostoïevski, Nick Tosches, Stefan Zweig, mise en scène et réalisation du film, Mathieu Bauer, dramaturgie: Irène Bonnau avec les comédiens Chet, Judith Henry, Martin Selze, Georgia Stahl et les musiciens Mathieu Bauer, Lazare Boghossian, Sylvain Cartigny, David Hadjadj.
"Rien ne va plus" est la dernière création de Sentimental Bourreau, collectif d'artistes, acteurs, musiciens, plasticiens, qui se sont rencontrés il y a seize ans avec cette envie commune de questionner l'acte théâtral. Cette fois, ils ont choisi comme matériau, le lieu de tous les possibles, de tous les fantasmes et de tous les égarements : la salle de jeu.
Pour dire la frénésie, le souffle suspendu, les mains animales, Mathieu Bauer, le metteur en scène, est allé puiser dans les mots de Zweig, et pour évoquer les phénomènes économiques de la société, dans ceux de Bataille.
Mais au-delà des mots, c'est un univers qu'il donne à voir, en convoquant différentes formes d'expression artistique qui s'entremêlent de façon harmonieuse. Un univers où les accents à la fois urgents et lancinants de la musique, présente de bout en bout, s'offrent comme une évidence, servis par la présence élégante des quatre musiciens. Un univers mobile, protéiforme, dans lequel évoluent quatre comédiens, tour à tour joueurs et croupiers, fantômes fatigués de rêves déchus. Parmi eux, un metteur en scène qui part jouer sa subvention à Las Vegas parce que "les subventions, c'est comme les dinosaures, bientôt ça n'existera plus".
Parallèle entre jeux d'argent et jeu théâtral. Certes. Mais surtout prétexte à s'interroger sur la notion de plaisir, un plaisir peu à peu transformé en concession par une société mercantile.
Bien sûr, le metteur en scène va perdre et se perdre ; et les images de ce séjour haletant dans la ville insomniaque, le cliquetis tapageur de ses machines à sous, feront partie intégrante du spectacle. Mais cette fuite en avant n'est-elle pas finalement le moyen de se questionner ? De se perdre pour mieux "se refaire" ?
Questionner les contraires, explorer les possibles. C'est ce que fait Mathieu Bauer dans une mise en scène et une scénographie inventives où il manie les allers-retours entre le jeu en direct et le jeu passé au filtre de la caméra, entre réalité et faux-semblant, passé et présent, ici et ailleurs. Comme si c'était précisément dans ce mouvement, dans cet entre-deux, que pouvait se nicher encore la liberté de créer.
Dans "Rien ne va plus", les lignes courbes des tables de jeu côtoient les angles aigus des écrans de cinéma, et le ruissellement des notes pianistiques ne s'effraie pas des accents pulsatifs de la batterie.
Sentimental Bourreau aime les contraires. Et c'est un pari gagné.
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