Une américaine installée à Londres depuis un bail, here is Tracy Chevalier. Oui, c’est elle, la formidable narratrice comblant les vides laissés par l’histoire. Elle s’est révélée au monde après La jeune fille à la perle, adapté sur grand écran. Depuis, elle continue d’écrire des romans mêlant histoire et fiction.
A l’orée du verger retrace la route anonyme d’une famille au temps de la construction de l’Amérique, qui n’a pas toujours été un eldorado, et qui ne l’est pas non plus pour tout le monde. Mais en 1838, la blasé-attitude n’avait pas encore pollué toutes les chaumières, et le rêve paraissait réaliste.
Tracy Chevalier plante le décor dès les premières lignes et nous rencontrons la famille Goodenough pataugeant dans les marécages du Black Swamp avec leurs marmots et leurs trognons de pommes. Il s’agit plus précisément de graines et de greffes de pommier qu’ils apportent avec eux dans l’espoir de perpétuer l’héritage familial de cultivateurs de pommes.
Le malaise est perceptible dès les premiers mots : Sadie et James sont loin de leurs premiers émois, rien ne semble les mettre d’accord, de la manière de cultiver des pommiers à la façon de traiter leurs enfants. Maltraitance familiale, violences conjugales, les services sociaux et les titres racoleurs du vingt et unième siècle s’en donneraient à cœur joie.
Et pourtant, A l’orée du verger n’est pas décrit comme un enfer, mais plutôt comme la conquête d’un monde meilleur. Tracy Chevalier décrit sans ambages la difficulté de la vie d’émigrés, les longs efforts des colons pour apprivoiser la Terre et dompter les cultures. Et au lieu de plaindre la famille, l’auteure réussit à éveiller une compassion sans limite pour nos ancêtres, et même à nous faire culpabiliser un peu de notre façon de gaspiller le confort qu’ils ont si chèrement payé.
Parce que la vie ne les a pas épargnés. D’autant plus que les Goodenough vivent dans un coin reculé, à la météo défavorable. Chaque hiver ampute la famille d’un enfant, les arbres dépérissent, le jardin produit à peine de quoi subsister. La colère gronde, James devient rustre et Sadie alcoolique. Ils semblent se détester tellement fort qu’on se demande bien s’ils se sont aimés un jour.
Un drame dont nous apprenons les tenants et aboutissants en fin de roman, détruit la dernière étincelle de solidarité familiale. Robert quitte la demeure et s’en va sur les chemins. Son parcours y est narré à travers les courriers sans réponse qu’il envoie à sa famille. Jusqu’à ce qu’il cesse d’en envoyer, les supposant tous morts. Puis les lettres de la douce Martha, sa petite sœur, prennent le relais. Elle est également à la recherche de son frère bien aimé, le seul pour qui le mot famille est réel. Le retrouvera-t-elle ?
D’une écriture pudique, Tracy Chevalier trace avec brio le parcours de la famille Goodenough dans la conquête de l’Amérique du début du XIXème siècle. Nous partageons les grands drames et les petites joies au rythme des personnages auxquels on s’attache sans ambigüité. Et pas seulement parce qu’ils ont sué sang et eau pour notre confort, mais aussi parce que cette histoire trouve un écho dans chacun de nos passés, parmi ces ancêtres méconnus qui n’ont fait que se battre pour nous offrir le monde dont ils rêvaient. Savons-nous en profiter ? Aurions-nous su faire les mêmes sacrifices à leur place ? |