Tragédie d'après l'oeuvre éponyme de Shakespeare, mise en scène de Thomas Ostermeier, avec Urs Jucker, Lars Eidinger, Jenny König, Robert Beyer, Damir Avdic et Franz Hartwig.
Thomas Ostermeier met en scène "Hamlet" de Shakespeare avec une partition quasiment réécrite par son dramaturge attitré, Marius von Mayenburg, à partir d'une nouvelle traduction.
Et ce, afin de se centrer sur le personnage-titre et répondre à un changement de focale, du métaphysique au politique, pour procéder à une mise en résonance entre la révolte ratée de Hamlet contre contre les turpitudes, dont le royaume pourri du Danemark serait l'illustration univoque, et le rêve de révolte d'une jeunesse contemporaine désemparée.
Les parti-pris sont radicaux avec un texte à la fois raccourci et assorti d'un prequel, avec deux scènes surnuméraires, une distribution restreinte à six comédiens et le choix d'une mise en scène décalée qui navigue du burlesque à l'expressionnisme en passant par le comique, le grotesque et, très souvent, par la case Grand Guignol avec une débauche de jus d'airelle rouge en guise d'hémoglobine dont s'abreuve et se maculent les protagonistes.
Et surtout l'approche du personnage-titre qui n'est pas un jeune homme romantique taraudé par une mélancolie lyrique et atteint d'une procrastination qui le maintient dans le dilemme intellectuel entre le dire et le faire, mais un bouffon ventripotent, caractériel et paranoïaque qui joue et déjoue la mission de vengeance réclamée par le spectre de son père.
La tragédie se déroule dans la spectaculaire scénographie conçue par Jan Pappelbaum qui transforme le plateau en une étendue de terre brune et épaisse, la terre des ancêtres, des pères et des morts, une terre qui colle aux souliers, alourdit le pas avant de le bloquer et d'ensevelir le marcheur, régulièrement traversée par un praticable mobile, tel un radeau, sur laquelle repose une monumentale table, symbole polysémique, de la grandeur du pouvoir et du prosaïsme de ceux qui l'exercent.
Sous les lumières crépusculaires de Erich Schneider et la projection, en boucle, de morphing entre le visage des protagonistes et une tête de mort réalisé par Sébastien Dupouey, se dessinent de saisissantes images.
Scandé par le dileme introductif du fameux monologue d'Hamlet, le spectacle s'ouvre avec trois scènes magistrales, des scènes de révélation quant à la personnalité d'Hamlet, le négatif de celle d'Oedipe, qui ne tuera pas son père, n'épousera pas sa mère et ne deviendra jamais roi, et de la décompensation psychotique qui s'opère sous le masque de la folie, et condensé limpide d'une inéluctable tragédie.
A savoir, la scène des funérailles du roi qui se déroulent sous la pluie, dispensée par un tuyau d'arrosage tenu à hauteur de braguette par un comédien, et d'une manière tragicomique conduisant au fou-rire en raison des mésaventures, dignes du cinéma muet, du fossoyeur maladroit aux prises avec le cercueil et de la famille pataugeant dans la gadoue, le banquet de noces de la mère d'Hamlet s'exhibant en danseuse du ventre qui ressemble à un mariage plébéien en salle des fêtes municipale et le dévoilement d'Hamlet.
La direction d'acteur de Thomas Ostermeier est efficace et l'interprétation émérite des comédiens de la Schaubühne de Berlin en charge de plusieurs rôles - Urs Jucker, Robert Beyer, Damir Avic, Franz Hartwig et Jenny König avec mention spéciale pour son incarnation réussie tant de la reine manipulatrice que de l'ingénue Ophélie - ne faillit pas.
Quant à Lars Eidinger, double actorial du metteur en scène au sommet de son art, il campe un Hamlet inoubliable en costume tirebouchonné de péquenot, le corps alourdi d'une prothèse ventrale, et ce, à tout point de vue. Pour sa composition sidérante certes, tant que pour ses échappées belles interactives dont la récurrence et la durée entraînent un "décrochage" qui sera fatal pour certains.
En effet, à plusieurs reprises, dont certaines en relation avec de micro-événements se déroulant dans la salle telle la sonnerie d'un portable, il interrompt la représentation et se livre à des facéties de one showman bigardien dont il est difficile de savoir, compte tenu de l'apparente sidération de ses partenaires, si elles sont prévues pour conforter l'incontrôlabilité d'Hamlet ou si elles résultent d'une improvisation spontanée en roue libre.
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