Comédie dramatique de Jean-Benoît Patricot, mise en scène de Anne Bouvier, avec Clémentine Célarié et Pierre Cassignard.
Avec "Darius", Jean-Benoît Patricot, signe une excellente partition tant par sa qualité d'écriture que par son originalité dramaturgique à double détente sous une forme non théâtrale, celle de correspondance entre deux inconnus, un homme et une femme mais évitant la dérive de la romance, focalisée sur le personnage-titre.
Une femme contacte un créateur de senteurs pour lui proposer un contrat singulier qui ressort de la mission empathique, certes rémunérée, mais qu'elle qualifie subtilement de défi.
A savoir, créer des parfums qui, à la manière de la fameuse madeleine proustienne, pourraient susciter la réminiscence des moments heureux vécus par son jeune fils qu'une maladie neurodégénérative incurable a rendu paralysé et privé de toutes ses facultés sensorielles autres que l'odorat et le toucher.
Si le sujet de l'accompagnement du handicap permet, en l'espèce, de traiter des thématiques de l'amour maternel, de la compassion et de la mémoire olfactive, il constitue le point d'ancrage de l'enjeu dramatique, selon deux déclinaisons, celui de la reconstruction de soi par le réinvestissement des objets du monde après la déstructuration provoquée par la perte de l'être aimé.
Elle, dans la mise en parenthèse de sa vie et dans la conjuration de la douleur d'une mort annoncée, elle a déjà entamée de manière inconsciente le processus normatif du deuil en concentrant son énergie sur la préservation du présent et le maintien d'une dynamique de vie pour son fils.
Lui, retiré du monde après le décès de son épouse dont il n'a pu surmonter la réalité, est tiré de son abattement délétère par ce challenge professionnel et leurs échanges épistolaires traduisent leur parcours avec une belle énergie et beaucoup d'émotion toujours twistée par une pointe d'humour pour ne pas sombrer dans un pathos démonstratif.
La mise en scène de Anne Bouvier atteste sa maîtrise absolue de cet exercice délicat en la forme comme au fond dont elle évite tous ses écueils par la novation de la staticité de la lecture en jeu théâtral, en combinant dialogues et proximité distanciée, et une parfaite gestion du registre de l'émotion.
Emmanuelle Roy a trouvé d'efficaces astuces scénographiques qui, avec la superbe création-lumière de Denis Koransky, et les brefs inserts musicaux de Raphaël Sanchez pour scander les ellipses spatio-temporelles, concourent à la dynamisation de l'espace scénique organisé autour de l'élément pivot que constitue un orgue à parfums, et aux déplacements des comédiens.
De plus, Anne Bouvier opère une direction d'acteur émérite en portant les deux interprètes à leur meilleur pour une incarnation sensible exempte de pathos démonstratif. Elle canalise le tempérament de feu de l'une qui accède à une intensité dramatique décuplée et oriente l'impétuosité de l'autre vers une féconde intériorisation.
Officiant en symbiose parfaite, Clémentine Célarié, magistrale, et Pierre Cassignard, exceptionnel, dispensent un spectacle accompli et bouleversant d'amour, d'espoir et de foi en la vie qui justifie l'ovation du public. |