Jasmine Vegas. Un nom hors du commun, un nom à faire rêver que ne pouvait porter qu'un personnage hors norme, une artiste excentrique et fantasque, une diva avant-gardiste qui irradie une étrange douceur extra-terrestre et dont les chansons sont autant de petites bulles distillant son univers.
Dôtée d'une voix envoûtante, elle vient de sortir Time, un premier superbe album.
Après l'avoir croisée lors de ses derniers concerts parisiens, il devanit urgent d'en savoir plus.
Rencontre au bord de la Seine. Rencontre placée sous le signe des bulles ...celles d'un verre de Perrier.
Nous vous avons découvert lors de la soirée organisée parle label Mon Slip à l'occasion de la sortie de l'album du groupe De Kift. Que s'est-il passé pour vous avant cette soirée dans la mesure où vous jouiez sous des noms différents (Jasmine Bande, Jasmine be alone et autres) ?
Jasmine Vegas : Je suis artiste depuis une quinzaine d'années dont les 5 ères à New York. Quand je suis arrivée à Paris, j'ai rapidement formé mon premier groupe qui s'appelait Jasmine Bande avec un "e" à la fin.
Effectivement j'ai très souvent trouvé le mot sans ce fameux "e".
Jasmine Vegas : Oui, la presse l'a souvent omis…et pourtant…. Nous avions un public à Paris surtout mais aussi en Province. Au départ, nous étions 3 anglo saxons : un contrebassiste anglais et un clarinettiste irlandais. Nous avons démarré ainsi dans le s bars puis nous avons fini à 5 avec une batterie et à la guitare électrique Bertrand Belin, qui vient de sortir son premier album.
Au bout de 2 ans, le groupe s'est dissous car nous avions vécu plein de choses ensemble et chacun avait envie de prendre sa "fuite". Ensuite, j'ai tourné pendant 2 ans en solo sous plusieurs noms différents. J'ai ensuite signé avec le label Mon Slip, environ un an avant la soirée De Kift et je travaillais donc sur l'album Time. Me voilà née Jasmine Vegas Vous aviez déjà réalisé un album précédemment ?
Jasmine Vegas : Oui. C'était un album de Jasmine Bande formule trio qui comportait à la fois du punk rock, du free jazz et des morceaux plus doux et harmoniques comme "Cannabis" que j'ai repris dans l'album Time. Quand cet album est sorti en 1997, il faisait un peu chavirer les oreilles et aujourd'hui est encore tout à fait d'actualité. Je suis un peu en avance sur l'époque.
Avant-gardiste ?
Jasmine Vegas : Surtout je pense qu'inconsciemment je pressens les modes qui vont venir. Par exemple, à l'époque de Jasmine Bande formule quintet nous avions sorti des maquettes dans un registre que nous surnommions "folk urbain". Et 2 ans après, après on a vu revenir le folk. Avant la musique, je travaillais dans le milieu de la mode et j'avais donc l'habitude et le sens de l'anticipation des tendances.
Sans vouloir entrer dans votre vie privée bien évidemment, pour quelles raison êtes-vous venue en France ?
Jasmine Vegas : j'en avais un peu marre de la culture américaine. Pas vraiment la culture, qui est géniale, mais la politique des médias américains. Aux States, les médias sont propagandistes et le moindre fait divers est annoncé à la une avec les tabloïds, un peu comme en Angleterre avec le Sun. J'en avais ras le bol d'être matraquée par cette politique de "America is the greatest". Et également parce que, par rapport à mes recherches artistiques, j'avais commencé à faire de la musique avec l'accordéon, j'avais senti qu'il y avait peut être "une ouverture d'oreille" en France. Je ne savais pas ce qui m'y attendait mais je sentais qu'il fallait chercher ailleurs.
Avec le recul, avez-vous été déçue à votre arrivée en France ?
Jasmine Vegas : Oh pas du tout ! Les français m'ont pris dans leurs bras ! J'ai joué dans des bars à Paris et, regardant autour d moi, je voyais les gens émerveillés. Je frissonnais d'être ainsi reçue ! Il y a des affinités entre New York et Paris. Les newyorkais raffolent de tout ce qui est "frenchy" et l'inverse est également vrai.
Et en dehors du public, avez-vous reçu également un bon accueil de la part des médias et des labels ?
Jasmine Vegas : Oui. Par exemple avec Nova magazine qui démarrait. J'ai rencontré le photographe Marc Melki qui y travaillait et m'a fait de photos géniales. J'ai eu plein d'échanges avec d'autres artistes. Un véritable melting-pot alors qu'à New York est davantage américain. Paris est un lieu de croisement des cultures.
Vous disiez qu'après Jasmine Bande, chacun avait souhaité s'orienter vers des projets plus personnels. Quel était le votre ?
Jasmine Vegas : Je voulais redevenir "solo" qui est un format qui octroie beaucoup de liberté. Dans Jasmine Bande, je me voyais un peu comme un chef d'entreprise avec toute la responsabilité que cela entraîne. Et comme les autres membres du groupe, j'avais envie d'explorer d'autres aventures musicales. Je me suis mise à l'ordinateur d'où les roots de cet album. Auparavant, j'étais un peu comme les musiciens purs et durs qui viennent de l'acoustique qui disaient que l'électro n'était pas de la musique. J'ai appris à me réaliser dans l'informatique et dans le synthétique qui peut être génial.
Pour ce qui est de votre carrière solo, les revues parlaient davantage de performances que de show. Avec cet album et les musiciens qui vous accompagnent vous revenez vers la formule plus classique du concert. Cela ne constitue-t-il pas d'une certaine manière un frein à cette liberté que vous recherchiez ?
Jasmine Vegas : Avec la sortie de l'album et les concerts pour sa promotion, je n'ai pas encore eu trop le temps de prendre du recul. Mais cet été, je vais réfléchir à la structure et aux détails du projet pour retrouver ce côté solo sans supprimer tout ce qu'apporte le fait d'être entourée de musiciens qui donnent le côté ambiante, atmosphérique et plein de la musique que je veux dégager. Ce que j'aime avec cet album c'est la réaction du public après les concerts qui me disent qu'ils étaient ailleurs, qu'ils ont voyagé. Donc permettre au public de créer le spectacle lui-même.
C'est cela qui a donc présidé à la conception des morceaux qui figurent dans l'album ?
Jasmine Vegas : Oui. Je voulais faire un album vraiment "planant" alors que mon passé dans la musique était plutôt de faire des trucs speed, chaotiques et punk même s'il y avait également des morceaux mélodiques. Les gens me disaient que j'avais des tubes mais ce n'est pas très facile avec un accordéon et des arrangements un peu avant-gardistes. Je voulais explorer l'harmonie et la mélodie ainsi que des rythmiques lentes car je pense que c'est un peu courageux de faire de la musique, et tout un album, de musique soft, féminine, planante.
Aujourd'hui, on craint de juste bercer les gens. On a plutôt envie de les exciter pour attirer l'attention et les interpeller. Mais je pense qu'il est possible de créer un espace pour l'autre. C'est une sorte de renversement de l'égoisme car, comme beaucoup d'artistes, je suis devenue artiste pour exprimer tout ce que j'avais de refoulé en moi de manière égoiste. 15 ans après, j'avais envie de restituer au public un espace où se retrouver. Chacun entend ce qu'il veut entendre dans la musique et la chanson.
L'album Time vient de sortir. Avez-vous déjà de bons retours ?
Jasmine Vegas : Oui, cela commence. Mais mon souhait, et ma perception de cet album, est qu'il s'agit d'un classique fait pour durer longtemps. Je ne m'attends pas à un effet "phénomène du mois" et que tout le monde en parle pendant un mois et puis plus rien. Je préfère qu'il s'installe petit à petit.
Vous avez fait une série de concerts sur Paris pour la promotion de votre album. S'en suivra-t-il une tournée ?
Jasmine Vegas : Oui, nous y travaillons mais il n'y pas que la tournée classique qui m'intéresse. Quand j'ai commencé à New York, existait la période des "performance art" avec le croisement de toutes les disciplines. Je n'ai pas vraiment retrouvé cela à Paris et je l'ai regretté un peu. C'est de là que viennent ma performance avec les bulles par exemple.
Ainsi, je vais jouer à Paris du 2 au 6 août au Zèbre de Belleville dans le cadre du "Cabaret newburlesque" qui avait été présenté au Lieu unique à Nantes en 2004. 5 femmes qui viennent des Etats-Unis font du strip-tease mais sous la forme du new burlesque qui est un renouvellement du genre burlesque qui était une forme de strip tease qui existait dans les années 20-30 aux States. Elles ont renouvelé cette forme artistique en créant chacune un personnage. J'interviendrai sous forme d'intermèdes et de poésie. C'est plus mon côté "performance".
Ce qui était très intéressant effectivement lors de votre soirée "Carte blanche" au Point Ephémère est que vous aviez invité des artistes très singuliers, comme Fantazio par exemple, et déjà esquissé le mélange des genres en faisant diffusé les petits courts métrages "Turkish Delight".
Jasmine Vegas : Je voulais offrir au public une soirée d'expériences en invitant des gens qui ont tous un lien avec mon univers ou mon vécu à Paris. J'ai rencontré Fantazio dès mon arrivée à Paris et j'ai souvent joué avec lui. Ainsi ce soir là, après mon concert, il a fait une intervention improvisée et, sur un morceau je connais bien, il m'a dit qu'il allait s'allonger et m'a demandé de monter sur sa contrebasse. Ce sont des expériences inopinées.
Pour revenir un peu sur New York, en France, cette ville paraît une scène underground très vivante, importante et très ouverte sur l'extérieur et dont nous sommes férus d'artistes comme Jeffrey Lewis, Adam Green par exemple qui ont un beau succès en France. En tant que public, nous n'avons pas l'impression qu'il existe le parallèle à Paris. Il paraît donc un peu surprenant que vous ayez quitté ce milieu.
Jasmine Vegas : Le milieu artistique new yorkais a toujours été très vivant, les Beatniks, Bob Dylan, les cafés littéraires. Quand j'y étais à la fin des années 70, c'était l'époque du punk avec les crêtes très colorées ce qui était visuellement très stimulant pour un artiste. Il y avait aussi le côté très américain de la compétition qui crée une émulation. J'étais dans la mode et tout ce que je voyais dans la rue m'inspirait.
Dans les années 80, c'était un bouillonnement avec le croisement des cultures avec la comédie, la tragédie, la danse, le one moment show, les drag queens. A la fin des années 80, le sida a calmé tout le monde et a carrément éliminé des artistes magnifiques. Par ailleurs, j'habitais à Manhattan qui regorgeait d'endroits pas chers. On pouvait louer des boutiques pour 300 dollars par mois pour y faire un théâtre. Mais la ville a connu l'inflation immobilière. La communauté s'est dispersé pour ne pas dire mourrait. Je sentais ce déclin.
Bien sûr, il y a une nouvelle génération d‘artistes qui s'est installée notamment à Brooklyn mais "le bâton a passé" et je ne voulais pas rester pour devenir amère et déçue. Je ne regrette pas du tout d'être partie. Par contre, quand je suis arrivée à Paris, il n'y avait pas ce passé mais seulement une grande ville. J'ai trouvé autre chose. Physiquement et théoriquement, il y avait les bras ouverts pour accueillir mon expression artistique. Avez-vous un plan de carrière ?
Jasmine Vegas : Je devrais (rires). Non, je n'ai pas de plan de carrière, je ne sais même pas ce que cela devrait dire. Il y a des artistes qui veulent juste s'exprimer et suivre leur délire. Bien sûr, mon plan de carrière serait d'avoir du succès avec tout ce que je suis capable de créer mais je dirais que là dessus que je l'ai déjà atteint car hier soir j'ai joué au Bataclan dans le cadre d'une soirée de soutien aux urgentistes et après mon solo de 20 minutes des gens m'ont dit qu'ils avaient eu la chair de poule. Pour un artiste il n'y a rien de mieux que de toucher le public. Ce serait ça mon plan de carrière.
Donc faire ce qui vous correspond, sans concession, et pas autre chose juste pour plaire. Ce qui ne veut pas dire que dans quelque temps vous ne ferez pas un album totalement différent de Time ?
Jasmine Vegas : Ce qui sera sûrement la cas ! Je voudrais parler encore un peu de cet album car j'ai eu la chance de travailler avec le producteur Markus Dravs. Il s'agit d'une rencontre d'abord sur album. J'ai écouté ce qu'il avait fait et je me suis dit que c'est vraiment avec lui que je voulais travailler. J'avais composé les ébauches des morceaux sur ordinateur mais je voulais un bon son. Tiens, d'ailleurs si j'avais un plan de carrière ce serait cela : que si ma prestation artistique est un peu hors du commun - encore que ce que je faisais il y a 2 ans se trouve être à la mode maintenant car je suis en avance – elle rencontre quand même un large public.
Si mes maquettes me plaisent, c'est trop mon "made" trop expérimental comme son pour atteindre les oreilles d'un plus large public. Mon désir est une ouverture vers un plus large public ce qui ne veut pas dire son commercial entre guillemets mais un son plus abordable. C'est la raison pour laquelle j'ai souhaité travailler avec Markus Dravs dont le son est connu. Le tout début de votre réponse veut-il dire que vous avez déjà des projets pour un nouvel album ?
Jasmine Vegas : Oui (rire). Je ne veux pas trop en dévoiler mais ce sera un album de chansons un peu sucrées et légères entièrement en français. J'y travaille déjà depuis 2 ans.
A ce propos, votre album Time comporte des chansons en anglais et des chansons en français qui ne se situent pas dans le même registre. En êtes-vous consciente et cela tient-il au fait que le français n'est pas votre langue maternelle ?
Jasmine Vegas : J'en suis consciente car les gens me le disent souvent. Je pense qu'après 10 ans passés à Paris, j'ai intégré le son de la chanson française. A part "O ciel bleu", les textes en français racontent des histoires d'amour ou de rupture que j'ai réellement vécues en France donc c'est sans doute la raison logique pour laquelle ils m'arrivent en français.
Alors que pour les chansons en anglais, ce sont des textes plus contemplatifs sur des notions abstraites et cela se reflète dans l'interprétation. Je serais d'ailleurs incapable d'écrire des chansons d'amour en anglais. J'en ai écris quand j'étais à New York, mais il s'agissait de chansons super agressives (rires).
Donc des chansons en français dans une couleur musicale plus pop ?
Jasmine Vegas : Un truc un peu plus pop, light, oui.
Vous disiez que quand vous viviez aux Etats Unis et travailliez dans la mode vous étiez très sensible à ce qui se passait dans la rue et dans les bars. L'êtes-vous encore ?
Jasmine Vegas : Oui, parce que je connais beaucoup de personnes qui font de la musique. Mais je suis plus influencée par les sons de la ville ou de lanature comme le son de cette machine par exemple (Ndlr : un camion poubelle) ou les arts plastiques que par les musiques que j'entends. Chez moi, j'écoute plus souvent les infos que les Cds.
Comme vous avez un don pour anticiper de la mode, avez-vous un scoop ?
Jasmine Vegas : (rires) Je pense que la couleur jaune va revenir. Avec tout ce qu'elle peut dégager en tant que son et émotion. Jaune et blanc c'est très beau. J'ai vu ça dernièrement en Hollande.
Et cela a une influence sur la musique ?
Jasmine Vegas : Oui, cela peut susciter plein d'images ; cela me fait penser aux vomissements (rires). La couleur jaune correspond à un état maladif. Le blanc prête un peu de fraîcheur au jaune. On verra !
Faites-vous de la peinture ?
Jasmine Vegas : Oui, une fois par an ! J'aime bien les découpages, les photos montages.
A titre privé ?
Jasmine Vegas : Pour le moment, oui.
Rendez-vous est donc pris notamment pour vérifier la "prédiction" sur le retour du jaune !
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