Le foisonnement stylistique, la production prolifique et la longévité de sa carrière vouent Picasso à l'analyse historiciste sur le mode de la narration spatio-temporelle et de la séquentialisation qui conduit à distinguer des périodes chronologiques.
Ainsi en est-il de la "Période néo-classique", qui vise les années 1916 à 1924, considérée comme constitutive d'une césure avec le cubisme.
Quant aux commissaires de l'exposition "Olga Picasso" qui se tient au Musée National Picasso, ils estiment que cette novation est due à l'influence de son épouse - et muse - qui justifierait de la rebaptiser "Période Olga".
Emilia Philippot, conservatrice du patrimoineau Musée national Picasso-Paris, Joachim Pissaro, professeur d’histoire de l’art et directeur des Hunter College Art Galleries à New York, et Bernard Ruiz-Picasso, le petit-fils d'Olga et co-fondateur de la Fondation Almine y Bernard Ruiz-Picasso para el Arte dédiée au soutien de l'art contemporain, ont donc conçu, à l'occasion du centenaire de la rencontre du couple, une exposition consacrée à la figure d'Olga Picasso qui propose une lecture de l'oeuvre picassienne à travers leur histoire conjugale et leurs archives privées.
Ils présentent donc un florilège d'oeuvres sélectionnées à l'appui de leur démonstration dans un parcours chrono-thématique ordonné autour de nombreux documents biographiques dont notamment des extraits de la correspondance d'Olga Picasso avec sa famille restée en Russie.
Olga Picasso, épouse, mère, modèle... et muse ?
En 1918, Picasso a 36 ans. Peintre à la notoriété déjà reconnue, il arbore la posture de l'artiste dandy avec mèche arty et le noeud papillon, à l'instar de la photo de sa pièce d'identité, bien éloignée de l'image inscrite dans la mémoire collective du vert patriarche en marinière et espadrilles.
Il va quitter la vie de bohème montmartroise pour la quiétude bourgeoise de la rue de La Boétie propice à sa situation d'homme désormais établi dans le mariage et le Tout Paris des Années folles dont il participe à la vie mondaine avec sa jeune épouse Olga Khokhlova, danseuse de la troupe des Ballets Russes, qui va devenir femme au foyer et modèle à demeure.
En 1927, la très jeune, blonde et pétulante Marie-Thérèse Walter de près de vingt ans sa cadette supplante la brune et mélancolique Olga. La séparation n'interviendra qu'en 1935, en un temps que Picasso qualifiera de pire époque de sa vie.
Tel est le cadre dans lequel s'insère l'exposition qui, au-delà de sa focalisation biographique, permet au visteur d'apprécier les spécificités de la figuration picassienne, de constater la récurrence des thématiques traitées par Picasso tout au long de sa carrière, dont les thémes centraux de la mythologie picassienne et de prendre la mesure de sa pratique de l'art de l'expérimentation.
Les concomitances et expérimentations stylistiques de Picasso ne sont pas liées à la personnalité d'Olga mais à des événements extérieurs, tels le séjour à Rome puis à Fontainebleau qui réactive l'intérêt de Picasso pour la figuration, ainsi l’Antiquité lui inspire les formes puissantes de femmes marmoréennes ("Femme lisant" 1920 - "Grand nu à la draperie" 1923), l'émergence du surréalisme en 1924 soutient son travail sur la déformation du corps, et les voyages en Espagne réactualisent le thème de la corrida.
Sans omettre le cubisme latent qui donne lieu à des variations post-cubistes sur le sujet de la baigneuses ("Nageuse " "Baigneuses jouant au ballon" 1928 Baigneuse au ballon 1929et le travail sur la forme et les mutations plastiques en corrélation avec les arts primitifs ainsi que par l'exposition "Picasso Primitif" qui se tient simultanément au Musée du Quai Branly.
La femme, fut-elle aimée, est considérée comme un modèle et Picasso use de la figure en tant que mécanisme expressif.
S'il peint Olga de manière "reconnaissable" avec des titres personnalisés ("Olga Khokhlova à la mantille" 1917 - "Olga au col de fourrure" 1923 - "Olga pensive" 1923), c'est de manière ingresque avec une modification idéalistique des traits du visage et une expression identique, l'air mélancolique et le regard absent, qui ne lui ressemble pas totalement et ne semble pas confortée par les archives visuelles, tel le tableau "Olga dans un fauteuil" de 1918 accroché en regard de la photographie correspondante.
En effet, ces portraits passés au tamis de la représentation, ne sont ni des portraits officiels ni des portraits intimes mais des portraits formatés, des portraits statiques en buste qui reprennent le motif classique de la femme assise absorbée dans une occupation féminine et, plus précisément encore, le motif cézannien de la femme en buste adossée à un fauteuil qui était également déclinée de manière cubiste et désincarnée comme elle le sera à la fin des années 1920 ("Grand nu au fauteuil rouge" 1929 - "Femme au fauteuil rouge" 1931).
Pendant la "période Olga nait leur fils Paul que Picasso représente dans une pose au "naturel" ("Paul sur l’âne" 1923 - "Paul dessinant" 1923" - "Portrait de Paul au bonnet blanc" 1923) qui se scénarise conformément à la tradition artistique qu''à l'iconographie picassienne antérieure à sa paternité ("Paul en arlequin" 1924 - "Paul en Pierrot" 1925).
De même pour le sujet de la maternité ("Mère et enfant", " Maternité" et "Mère et enfant au bord de la mer") et les scènes dites "familiales" ("Famille au bord de la mer") qui sont dépersonnalisées dans les toiles de 1921.
Et le peintre lui-même devient modèle dans sa version du sujet de l'atelier.
Les dernières salles thématiques réunissent essentiellement des oeuvres graphiques sur les thèmes, là encore, récurrents de Picasso. D'une part, sur le cirque, thème de prédilection de sa période naturaliste dite rose (1905-1907), mais traité de manière plus enjouée ("L'Acrobate bleu" 1929).
D'autre part, la mythologie picassienne avec sa trinité thématique.
La crucifixion, avec de nombreux dessins dont, en point d'orgue, la petite huile sur contreplaqué "Crucifixion" de 1930, qui se présente non comme dans signification religieuse comme une transposition profane de l'artiste crucifié dans l'impasse Eros/Thanatos, déjà traitée "Cricifixion et étreintes" de 1903, et dans laquelle Philippe Sollers, dans le catalogue de l'exposition "Corps crucifiés" au Musée Picasso en 1992, voyait "l'omnispection qui est la grande révolution de Picasso".
Ensuite, le rite de la corrida et sa déclinaison en "Minotauromachie" avec l'homme-animal mythique du Minotaure emprunté au surréalisme dont il constituait la figure emblématique.
Entre le divin et le bestial, Picasso insère la violence du désir masculin jusqu'au rapt et au viol ("Minotaure violant une femme" 1933) et la fragilité du taureau mis à terre par le toréador ("Minotaure aveugle guidé par Marie-Thérèse au pigeon dans une nuit étoilée" 1934).
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