Comédie de Gotthold Ephraïm Lessing, mise en scène de Dominique Lurcel, avec Samuel Churin, Anne Seiller, Laura Segré, Hounhouénou Joël Lokossou, Jérôme Cochet, Tadié Tuené, Gérard Cherqui et Faustine Tournan.
La Compagnie Passeurs de mémoires fondée par Dominique Lurcel s'est engagée dans une nouvelle re-création de "Nathan le Sage" de l'écrivain, critique et dramaturge allemand du Siècle des Lumières Gotthold Ephraïm Lessing.
Cet opus s'inscrit le registre du théâtre classique en termes d'emplois et l'héritage moliéresque en ce qu'il insère dans une comédie une satire des grandes religions monothéistes et, en sus, des considérations philosophiques sur la tolérance et l'humanité de l'homme qui doit primer le radicalisme religieux.
L'argument classique de la romance contrariée, en l'espèce non pas tant par le refus paternel que par la différence confessionnelle, est traité dans une intrigue rocambolesque avec enfant trouvé, filiation mystérieuse et dénouement "merveilleux" se déroulant à Jérusalem au temps des Croisades.
Revenant d'un campagne de recouvrement de créances, Nathan, un riche négociant juif surnommé "le Sage", apprend que, durant l'incendie criminel de sa maison, sa fille a été sauvée par un jeune templier aussi écervelé qu'intrépide qui venait d'être gracié par le sultan. Une idylle est déjà née à laquelle il oppose quelques atermoiements alors même qu'il est convoqué par le sultan pour financer la guerre contre les Croisés.
Avec une adaptation rafraîchie du texte, Dominique Durcel a opéré une contextualisation contemporaine par les costumes tout en conservant l'hétérotopie originale avec la scénographie minimaliste de Danièle Rozier consistant en un praticable incliné recouvert d'un tapis, symbole du tapis volant des contes arabo-persans, tissé au Maroc par les femmes d'un village du Haut-Atlas dans le cadre d'une partenariat solidaire de la compagnie . Sa mise en scène au cordeau s'appuie sur l'interprétation de qualité des interprètes en charge des rôles principaux par ailleurs figures des trois principales religions monothéistes. Le duo de comédiens aguerris formé par Samuel Churin et Gérard Cherqui, incarnant respectivement le personnage-titre et le monarque musulman éclairé, assure la pertinence des échanges philosophico-théologiques avec, en contrepoint, pour le templier, le jeu fougueux du jeune et prometteur Jérôme Cochet parfaitement distribué tout comme Laura Segré dans l'emploi des jeunes premiers amoureux. Ils sont entourés de comédiens confirmés avec Faustine Tournan en soeur du sultan au coeur noble et Anne Seiller en gouvernante entremetteuse, toutes deux parfaitement justes.
Côté masculin, pour camper les deux extrêmes de l'ordre ecclésiastique que constituent, d'une part, le patriarche de Jéusalem, représentant d'une Eglise préoccupée par son pouvoir temporel et prêchant la soumission à la foi par la peur, et, d'autre part, un ermite compatissant réduit au statut domestique de frère lai, Dominique Durcel, qui a signé un excellent spectacle titré "Folies coloniales", a eu la bonne d'introduire un clin d'oeil sarcastique aux produits des missions évangélistes en Afrique coloniale.
A cet effet, il a confié les rôles à deux émérites comédiens d'origine africaine. Et font merveille tant la folie bouffonne de Hounhouénou Joël Lokossou, épatant en évêque terroriste de la foi et adepte des pratiques de l'Inquisition, que la truculence de Tadié Tuené en "saint homme" qui fait office de "main de Dieu" pour un heureux épilogue.
Un spectacle bienvenu en un temps où le radicalisme religieux détourne l'homme de son humanité pour l'engager à nouveau sur le chemin de la barbarie. |