Tragédie contemporaine d’après Euripide, adaptation et mise en scène de Simon Stone, avec Fred Goessens, Aus Greidanus jr., Marieke Heebink, Bart Slegers, et Eva Heijnen, David Kempers, David Roos et Jip Smit.
La tragédie de Médée attachée au théâtre antique connaît d'effrayantes résurgences contemporaines avec les massacres familiaux défrayant la chonique à la rubrique des faits divers qui ont interpellé le metteur en scène Simon Stone qui en livre, avec la collaboration du dramaturge Peter Van Kraaij, dans "Medea" une stupéfiante déclinaison moderne.
En moins d'une heure vingt, avec l'incarnation émérite des comédiens néerlandais de l'excellente troupe du Toneelgroep Amsterdam, dont Marieke Heebink époustouflante dans le rôle-titre, ce jeune metteur en scène d'origine australienne à peine trentenaire, artiste associé au Theater Basel et, depuis la nomination de Stéphane Braunschweig, au Théâtre National de l'Odéon, décrypte l'indicible et l'irreprésentable de manière puissante et radicale dans une partition qui ressort au théâtre de la sidération et qui n'est pas sans évoquer celui de Jean Lambert-wild dans "War Sweet War".
La photographie de plateau retenue pour l'affiche donne le ton de la partition : une histoire de couple qui vire à la tragédie pour une femme en état de décompensation psychotique.
Une histoire banale et ordinaire que celle de l'infidélité et de la séparation qui, à défaut de résilience, maintiennent le sujet dans un état de souffrance psychique d'autant plus exacerbé et destructeur qu'ils caractérisent l'échec d'un l'investissement narcissique et objectal dans le couple entendu comme une relation élective et exclusive.
Au 21ème siècle, Médée c'est Anna (Marieke Heebink) médecin-chercheur réputée dans un laboratoire pharmaceutique, Pygmalion, épouse et mère des enfants de Lucas (Aus Greidanus jr.), ambitieux et opportuniste à qui elle a tout donné et, selon elle, tout sacrifié.
Quand il lui préfère une jeune femme (Eva Heijnen), qui s'avère la fille du directeur (Bart Slegers), elle est dévastée et s'engage dans une spirale destructrice alimenté par la fuite du temps, la jalousie, la rupture du lien amoureux, la trahison ressentie, l'angoisse de séparation, l'autonomie croissante des enfants et la perte de son statut professionnel.
Après une tentative de meurtre passionnel et un séjour en hôpital psychiatrique, elle croit que tout est encore possible et, abandonnant tout orgueil et amour-propre, elle use de toutes les stratégies pour quémander, supplier, négocier avant de s'ériger en auto-justicier terroriste condamnant le survivant à une perpétuelle culpabilité.
Aucun décor, uniquement, avec la scénographie de Bob Cousins, un "white cube" aux cimaises inondées d'une lumière blanche aveuglante tel un écran sur lequel se découpe des silhouettes telles des projections animées, et empruntant le procédé cinétique du split-screen pour y incruster les images vidéo par captation directe, zoom sur le visage des protagonistes et brèves scènes hors champ.
L'organique et le pulsionnel constituent les leviers de cette violente et paradoxale confrontation entre le temps historique et le réalité contemporaine, le "deux temps en un" ainsi qualifié et totalement maîtrisé par Simon Stone.
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