Une fois n’est pas coutume, ce romancier est également poète. Chacun de ses romans reçoit un prix. Oula la pression… Julien Delmaire publie ici son troisième chef-d’œuvre intitulé Minuit, Montmartre. Roman aux tournures de phrases soignées et au souffle agonisant de la fin de la Belle Epoque.
Les premières lignes résonnent comme la complainte de la Butte, Masseïda erre dans les rues de Paris, quartier des artistes, à la recherche de l’atelier d’un vieux peintre dont le nom lui a été craché par un passant moins concupiscent que les autres. Il faut dire que Masseïda est noire et que cette couleur de peau ne courrait pas les rues en 1909. Relevant plus du folklore que de l’intérêt humaniste, les noirs étaient plus souvent bêtes de foire que modèles de peintre.
Et pourtant, c’est ce qu’elle va devenir. Théophile Alexandre Steinlen a l’habitude de peindre des chats, son atelier en est envahi. Il accueille pourtant la beauté sauvage et la silhouette nerveuse de la jeune femme qui deviendra son modèle et sa maîtresse pendant plusieurs années.
Absinthe, siphyllis, bistrots et prostituées peuplent les rues de Montmartre. Julien Delmaire brosse avec talent et un peu de nostalgie le paysage d’un pan disparu du passé de la capitale, avant le capitalisme. Au-delà de l’histoire des personnages, l’ambiance du roman est une plongée dans les odeurs et les couleurs de la Belle Epoque. De l’allumeur de réverbère aux corps enlacés dans la nuit, l’auteur assure la mémoire des coutumes et pratiques de ce siècle oublié.
Inspiré de la réalité, le roman est d’autant plus passionnant qu’il retrace une partie méconnue de la vie de Steinlen, auteur de la célèbre affiche du Chat Noir. Mais loin d’être une fable enchantée murmurant "c’était mieux avant", Minuit, Montmartre est une introspection dans la société du tout début du XXème siècle.
Steinlein et Masseïda se rejoignent, d’origines opposées, ils portent au quotidien le fardeau de la solitude, le sentiment persistant de ne pas être à sa place. Tous les deux vivent dans le soupir de ce qu’ils ont perdu, ils traînent le manque comme un fantôme du passé. Le premier a perdu sa femme et la seconde se languit de ses racines. Veuf et immigré.
A la fermeture du roman, les couleurs de la fresque persistent, et au fur et à mesure que le contact avec la réalité revient, alors que les couleurs s’estompent, reste l’éblouissement du moment. Est-ce le phénomène de persistance rétinienne qui rapproche ce début de XXème siècle et ce début de XXIème siècle ? Il n’est pas difficile de comprendre que les vagues de migrants arrachés à leurs origines ressentent le même sentiment d’arrachement et d’isolement que les héros de Minuit, Montmartre.
Traversant les époques, Julien Delmaire réussit un captivant voyage dans la vie de Bohème. Sa plume intemporelle a le pouvoir d’abolir les barrières des années pour porter les questionnements et les doutes de MasseÏda et Steinlen à nos existences contemporaines, également pétries de doutes et de regards dans le passé. Poétique et mystérieux. |