Pour interpellant et alléchant qu'il soit in abstracto, le titre de l'exposition
qui se tient à la Halle Saint Pierre, "Turbulences dans les Balkans" - ne doit pas être pris au pied de la lettre car il s'avère tout autant elliptique qu'il ne rend pas tout à fait compte de son contenu.
En effet, le terme "turbulences" ne s'entend que par l'éditorial de la directrice du lieu et commissaire Martine Lusardy qui précise, d'une part, son utilisation métaphorique pour évoquer "le vent de l’art brut" qui souffle sur la scène artistique alternative des Balkans.
Et, d'autre part, sa référence avec le "générateur puissant d’art turbulent" que constitue le centre culturel autonome Matrijarsija qui collabore avec l’Association Art Brut Serbia fondée par Goran Stojcetovic qui elle-même collabore avec le Musée d’art Naïf et Marginal de Jagodina dont la directrice Nina Krstic a participé à l'élaboration de la monstration,
En conséquence, les Balkans sont circonscrits à la Serbie et les oeuvres des 26 artistes présentés, dont nombre sont membres de l'association précitée, s'inscrivent à une croisée de chemins stylistiques.
Soient l'art populaire serbe, en résonance avec la mythologie slave liée aux croyances païennes archaïques, et la tradition séculaire de l'art naïf, qui ont perduré de la romanisation à la guerre civile en passant par cinq siècles d'occupation par l'Empire ottoman et la dictature socialiste au sein de la Yougoslavie titiste, ainsi que de l'art brut dans son acception de création spontanée sans conscience du statut d'artiste.
Scandée par les sculptures animalières très expressives de Milan Stanislavjevic réalisées à partir de troncs de chêne noir échoués sur les berges de sa rivière natale, l'exposition dresse de manière synthétique un large panorama de l'art serbe "outsider" du 20ème siècle en commençant par les "anciens", hommes d'origine paysanne et autodidactes, érigés en maîtres.
Ainsi des oeuvres de Sava Sekulic (1902-1989) ressortant au néo-primitisme avec ses hybridations zoomorphes aux couleurs presque transparentes et de Ilija Bosilj Basicevic (1985-1972) qui révèlent l'influence des icônes byzantines et des légendes populaires.
Egalement Vojislav Jakic (1932-2003) avec ses dessins de grand format avec une multitude de figures tant humaines qu'abstraites qui sature l'espace et Matija Stanicic (1926-1987), une Séraphine de Senlis serbe, avec ses personnages autoréférencés.
Les oeuvres les plus récentes, telles celles de Dragan Radovic, né en 1955, avec sa "Fugacité belgradoise" et son émir christique et de la jeune garde comme Boris Dejelhan, né en 1981, avec ses sculptures en métal grandeur nature des légendes de la musique américaine, qui se positionnent dans la culture pop ne manquent pas de surprendre..
Entre temps et entre autres, le visiteur découvrira les portraits baconiens d'Igor Simonovic, les collages de Emir Sehanovic qui s'inspire de la pratique d'un art divinatoire, la molybdomancie, effectuée sur de veilles photos, les visions célestes de Vojkan Morar et celles torturées de
Predrag Milicevic (1963-2013).
Une réelle découverte. |