Spectacle réalisé par Mohamed El Khatib et Fred Hocké avec ds supporteurs du Racing Club de Lens.
Au Nord c'étaient les Corons
La Terre c'était le charbon
Le ciel c'était l'horizon
Les hommes les mineurs de fond
Quand résonne dans le stade Felix Bollaert, la chanson de Pierre Bachelet, "Les Corons", reprise par les milliers de supporters du Racing Club de Lens, le frisson est garanti pour tout le monde qu'il soit hooligan du Paris Saint Germain ou directeur du Pôle emploi, la plus grande et dynamique entreprise du Nord-Pas-de-Calais désormais entité noyée dans les "Hauts-de-France".
Alors, quand c'est au tour d'un théâtre parisien de 800 places d'entendre quelques dizaines de Lensois de l'échantillon choisi par Mohamed El Khatib entonner la chanson des ch'tis, le résultat est le même : un vent inattendu de culture populaire souffle là où d'ordinaire règne un parfum d'entre soi élitaire.
On en croira pas ses yeux et ses oreilles pendant plusieurs générations : après avoir introduit insidieusement une femme de ménage sur scène en la personne de Corinne Dadat pour un spectacle éponyme, Mohamed El Khatib récidive joyeusement avec tous les us et coutumes du football, qu'on osera qualifier ici de "dixième art".
Tout y sera pour une revue de détail que d'aucuns traiteront avec condescendance de "théâtre sociologique", déniant même aux Lensois, presque tous chômeurs de profession, la possibilité de viser pendant quelques représentations la "belle condition" d'intermittent du spectacle...
Et pourtant, quels comédiens que ces amateurs de football qui font ici œuvre collective, la plus belle des œuvres collectives : celle qui transforme des citoyens en Peuple. C'est le peuple lensois, c'est le peuple du Nord, de la France profonde, qui est sur scène à défaut d'être dans la salle comme le rêvaient jadis les Vilar et les Philipe.
Ce peuple qui vote aussi mal qu'il ne parle, mais qui a le cœur sur la main même quand il a le mauvais bulletin en poche, Mohamed El Khatib l'aime et lui donne l'occasion unique de ne pas être stigmatisé.
Sur scène pour deux mi-temps réglementaires. Avec un quart d'heure pour que le public vienne chercher des frites dans la baraque "Chez Momo". Et pour quatre euros, le bobo parisien laissera parler son ventre : une portion comme ça, il n'y a que les Lensois pour l'engloutir ! Les frites rendront bien gras ses doigts mais "Stadium" lui fera connaître un monde qu'il ignore.
Il découvrira qu'une mascotte à tête de chien malheureux peut cacher un ancien danseur de Pina Bausch, qu'un arbitre est un être perclus de doute qui va chez le psy pour comprendre pourquoi il s'habille en noir pour se faire traiter de "fils de pute". Il découvrira que les "gens de peu" qui regardent vingt-deux gars taper dans un ballon pensent autant que les abonnés d'un théâtre national.
Il compatira aux malheurs de ces Lensois perdus dans les fins fonds de la Ligue 2 et pas près de revenir se faire maltraiter par une banderole des petits malins du PSG. Il aura peut-être même aussi un peu de tendresse pour ces pom pom girls pas idiotes au point d'avoir envie qu'il y ait un jour des "collinettes"...
Bref, Mohamed El Khatib aura, pour la plupart de ceux qui oublieront leur mépris de classe avec leur ticket de vestiaire, réussi à faire communiquer deux mondes que rien ne peut plus faire communiquer à part, justement, le sport et la culture.
Grâce à lui, Lens aura repris l'espace d'un match culturel sa place en première division et quelques-uns de ses spectateurs auront apprécié la "Chenille" et la Marseillaise version lensoise que les trompettes et les tambours des supporters faisaient résonner après la représentation.
Pour cette ambiance joyeuse, viscéralement joyeuse, Mohamed El Khatib aura réussi son coup. On ne peut, hélas, citer tous ceux qui interviennent sur une scène où une tribune pleine fait face aux spectateurs, ou qui sont interviewés en vidéo.
Spectacle à la gloire du public inconnu mais incarné, "Stadium" n'élude aucune question et surtout pas la question sociale si absente des scènes "normales". Parmi les clameurs et les fumigènes, les rires et les chants, il aura suscité une flammèche d'espoir en évoquant la possibilité d'un monde où c'est en se rencontrant qu'on peut commencer à penser à fraterniser.
Tiens, au fait, il y a pourtant un absent dans cet hymne au football fédérateur : le ballon. Comme quoi, on est bien au théâtre, c'est-à-dire bien loin du pur réalisme.
Allez Lens ! Allez les Sang et Or ! |