Pour la soirée ouverture du Tourcoing Jazz Festival, l'événement qui réunit chaque année des pointures n'a pas oublié ses origines. En 1986, c'était Planètes Tourcoing Jazz Festival ou comment ouvrir les horizons des spectateurs... Certes, "Planètes" a été envoyé aux antipodes mais pas la mission. Cette 31ème édition a dirigé sa boussole vers le sud-ouest, au large de l'Atlantique. Direction Cuba pour détecter et ramener la crème du jazz dans la ville charnière entre Lille et Bruxelles.
Il faisait déjà chaud dans le théâtre Raymond Devos, son cœur rouge battant de spectateurs. Mais ce n'était rien comparé au lancement du premier plateau : Yilian Cañizares et son quatuor. Une fleur rouge tout droit venue de "l'île de la tentation", comme elle aime décrire "son" Cuba natal et qui s'est aussitôt mise à vibrer tant à la voix qu'au bout de ses doigts.
Cette violoniste qui avait, dès ses seize ans, sa carrière toute dessinée dans le classique a viré au jazz lorsqu'il s'est présenté à elle, en Suisse. Depuis, elle l'a dans la peau, le danse, le joue, le chante, en même temps. Ce qui laisse sans voix au début, avant d'être irrésistiblement emporté par l'envie de danser.
Au jazz traditionnel, la Cubaine n'a pas hésité à y ajouter des rythmes afro-cubains pour faire rayonner une musique métissée. Les solos du pianiste (Daniel Stawinski) et du contrebassiste (David Brito) alternent avec le battement des percusionnistes (Inor Sotolongo et habituellement Cyril Regamey) tout droit venus de Cuba. Mais le soleil, c'est surtout elle qui le transmet, mêlant le violon à l'ensemble. Yilian Cañizares chante de cette voix velours en espagnol et en yoruba, langue parlée par les Nigérians et Congolais à l'époque de l'esclavage. Et si la gaîté illumine ses morceaux, tirés notamment de l'album Invocación (Naïve Records), du début à la fin, ce thème lui est cher et lui a inspiré Mapucha, portrait d'une femme née esclave et devenue libre, qui clôturera son set.
Le public ne voulait pas la laisser partir. "Mais vous allez voir un artiste généreux qui va vous emmener encore plus haut", avait-elle conclu, aux anges. Car, ce n'est pas tous les jours qu'on partage l'affiche de Richard Bona pour qui des fans qui "le connaissent [connaît] et le suivent [suit] depuis vingt ans", n'ont pas hésité à prendre leur billet. Lui non plus d'ailleurs, déjà venu en 2015. "Quand mon tourneur m'a annoncé les dates Stockholm, Tokyo,... Tourcoing, j'ai utilisé Google pour toutes les destinations mais pas pour Tourcoing. J'ai dit oui tout de suite".
Il est quand même éclectique ce bassiste, indomptable même. Si le jazz reste sa ligne rouge, ce musicien et chanteur d'origine camerounaise a tissé au fil de sa carrière ses albums en mêlant des influences multiples. Il était là, à "Tourcoing... coing... coing" pour défendre son dernier opus, Heritage (Qwest Records, le label de Quincy Jones). Un album résolument tourné vers Cuba et ses rythmes afro-cubains... aussi. Ce qui n'était pas pour déplaire à son invitée du premier plateau qui n'a cessé de danser derrière les rideaux.
Richard Bona et sa voix angélique à faire frémir était entouré de musiciens du cru, son All Stars Mandekan Cubano band avec : le pianiste cubain Osmany Parades, le percussionniste vénézuélien Luisito Quintero, le tromboniste mexicain Rey Alejandre, le trompettiste cubain Dennis Hernandez et le percussionniste vénézuélien Roberto Quintero ainsi qu'un guitariste (partie habituellement joué par Richard Bona sur ses albums).
Alors bien sûr, les solos qui irriguaient ses collaborations avec Mike Stern, Pat Metheny à commencer par Jacques Higelin en 1994 et bien d'autres – difficile de les recenser toutes – et ses albums solos, ont laissé place à un jeu d'ensemble dans le bain des rythmes ensoleillés cubain. Certains amateurs de basse ont fait la moue. Le jeu énergique reste néanmoins appréciable et surtout cette voix que Richard Bona soulève haut.
Aller voir Richard Bona, c'est la garantie de repartir un grand sourire aux lèvres. Du beatbox à la chanson française, il aura encore étonné, ne cessant de communiquer avec son public. Le chanteur aura tout de même réussi à faire chanter toute la salle "Oh Sen Sen", avant de l'inviter à se déhancher sur ses derniers morceaux. Définitivement de belles énergies pour l'ouverture du Tourcoing jazz festival.
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