Belle idée de la part des éditions Albin Michel que de publier ce livre de Sándor Márai, Dernier jour à Budapest, paru en Hongrie en 1940. Sándor Márai est un écrivain Hongrois, né en 1900 qui a vécu à Leipzig, Francfort, Berlin et Paris avant de retourner en Hongrie dans les années 30. Adulé dans son pays, il tombe rapidement dans l’oubli après son exil en Californie où il meurt à la fin des années 80. Son œuvre a été ensuite redécouverte dans les années 90.
L’originalité de ce livre est qu’il réunit deux virtuoses de la littérature hongroise du 20ème siècle, Sándor Márai, l’auteur du livre, et Gyula Krudy, à qui il rend hommage sous le personnage de Sindbad, son alter ego dans le livre. Giula Krudy est disparu en 1933. De son vivant, il fut un écrivain reconnu et apprécié mais jamais il n’obtint les faveurs du grand public, restant "un écrivain pour écrivain" comme le dit Sándor Márai.
A travers ce livre, Sándor Márai offre à son maître littéraire, l’occasion de revivre sous les traits d’un personnage nommé Sinbad son dernier jour à Budapest. Ce dernier jour, il va le vivre au mois de mai, quittant son domicile et promettant à sa femme de rapporter l’argent nécessaire pour acheter une robe à leur petite fille. A peine parti, ses bonnes intentions se dissipent et rapidement il se laisse aller à la tentation d’une ballade en calèche dans Budapest, revisitant les lieux qu’il aime, les lieux qu’il a fréquentés.
Si vous cherchez de l’action dans Dernier jour à Budapest, vous pouvez passer votre chemin. A vrai dire les seuls véritables actions du livre sont lorsque Sinbad descend et remonte dans la calèche. Il va manger, va dans les bars, dans les bains turcs, discute avec des amis. Si vous cherchez une belle narration ponctuée de superbes descriptions, vous pouvez continuer votre chemin. Si vous souhaitez voyager ou visiter Budapest aussi. Ici, avec ce livre, tout est occasion pour parler de la Hongrie, imaginaire et réelle, de Budapest et même du Danube qui fait l’objet de superbes pages dans le livre. Les remous de ce Danube lui rappellent toujours le destin éphémère de l’humanité.
Mais au-delà de ça, tout est prétexte aux beaux mots car Sándor Márai est un grand écrivain, sans oublier, faut-il le préciser aussi, le grand travail de traduction du hongrois effectué par Catherine Fay. Il se dégage de cette superbe écriture de véritables images qui nous font voyager dans Budapest et ses endroits insolites. On se surprend à se retrouver dans les vapeurs fumantes d’un bain turc où l’auteur s’embarque dans des descriptions envoûtantes. On y boit toute sorte de palinka, alcool hongrois, objet de subtiles pages, on y mange du pain de Soroksar aussi, du salami fumé de Szeged et du paprika de Szabadka. On y côtoie enfin, des grands auteurs hongrois qui sont référencés à la fin du livre.
En croisant Histoire et romance, Sándor Márai nous livre donc un récit émouvant rempli de nostalgie, d’une infinie beauté, où ses propres souvenirs d’avant-guerre viennent s’immiscer dans l’imaginaire de l’un des plus grands écrivains hongrois. |