Peut-être que si je ne suivais pas Ignatus depuis longtemps, je serais tombé amoureux de son projet [e.pok]. Car, en effet, j'attendais une suite à Cœur de bœuf dans un corps de nouille depuis 2004. Pourtant, même s'il a produit deux albums en 2009 et 2014, leur sortie n'était pas parvenue jusqu'à mes oreilles. Bien qu'inscrit à la newsletter sur son site Ignatub, c'est en préparant cette chronique que j'ai appris l'existence de ces deux albums.
Pour les dernières nouvelles que j'avais de lui, il intervenait lors d'ateliers destinés aux professionnels de la chanson au Studio des Variétés, et continuait sa collaboration avec les frères Makouaya dans le cadre de spectacles musicaux à destination des enfants. En résumé, je pensais que, face à la reconnaissance critique mais devant l'absence de retombées médiatiques et populaires, après vingt ans de vaches maigres, Ignatus avait raccroché son tablier.
Le récent [e.pok], sorti il y a quelques mois déjà en téléchargement libre par l'intermédiaire de La Souterraine, prouve qu'il n'en est rien. Mais lorsque plus de dix années se sont écoulées entre les dernières réalisations qu'on connaît d'un musicien et ses nouvelles productions, le monde a changé. D'abord, le monde intime de l'auditeur qui se remémore les chansons comme autant de madeleines de Proust auxquelles accrocher des lambeaux de jeunesse. Ensuite, et fort heureusement, l'écriture, les choix de productions et les ambitions de l'artiste ont évolué, sans oublier que son rapport à l'art et au monde a forcément été modifié durant cette période. Enfin les média, les techniques, les modes, les styles, et au-delà de ça la société, ne
sont plus les mêmes.
Alors peut-être justement est-ce parce que le projet [e.pok] est en accord avec le monde actuel qu'il ne me convainc pas entièrement de la part d'un musicien que je raccroche à mon passé. Certes, on retrouve dans [e.pok] des obsessions d'Ignatus déjà présentes sur ses précédents albums, en tout premier lieu l'écologie et le (ou plutôt l'absence de) rapport aux autres en tant que Objet Social Non Identifié, mais celles-ci s'inscrivent dans une veine dénuée du second degré qui était la marque de fabrique de cet esthète decalé.
Plus l'album avance, plus on semble prendre le chemin d'un Michniak tiède, d'un Programme assez peu radical (ce qui d'ailleurs peut aussi apparaître comme une marque de l'époque dans un espace politique représenté uniquement au centre avec des tendances qui s'auto-proclament constructives).
Malgré les qualités inhérentes à [e.pok], une écriture fine, une interprétation savamment détachée, une production attentive aux détails, et même un beau travail sur la pochette, ce disque ne parvient pas à m'accrocher en raison de son manque de fissures et d'aspérités, comme si celles-ci avaient été gommées non par le temps mais bien par Ignatus lui-même.
Ignatus a, semble-t-il, porté une attention particulière à l'exercice de la scène avec une mise en scène associée à des projections vidéos, là où j'appréciais les performances autrefois foutraques du bonhomme qui, par exemple, bricolait des instruments à base de poupées aux effigies de Beck et d'autres artistes. C'est cependant sur scène, que j'espère être happé par le projet [e.pok], dans une configuration où les rythmes et les basses viendront physiquement me heurter et me faire violence.
De la musique, des spectacles, des livres. Aucune raison de s'ennuyer cette semaine encore. Ajoutons à cela nos chaines Youtube et Twitch et la semaine sera bien remplie.