Opus 102 : Litz, Debussy, Scriabin
(Evidence) novembre 2017
Connaissez-vous le nombre de touches sur un clavier de piano ? Le clavier du piano moderne est composé majoritairement de 88 touches. Les 52 touches blanches correspondent aux sept notes de la gamme diatonique, et les 36 touches noires aux cinq notes restantes de la gamme chromatique. Il existe quelques exemplaires anecdotiques de pianos contemporains (on ne parlera pas ici des pianos numériques, synthétiseurs...) possédant moins de 88 touches et encore beaucoup de pianos anciens n'en possédant que 85.
Le Bösendorfer modèle 290, dit "Impérial" comporte 97 touches au lieu des 88 présentes sur les pianos de concert normaux. Ce clavier plus large comportant huit octaves complètes (C0 à C8) construit à la demande de Busoni est le seul à permettre d’interpréter fidèlement certaines œuvres de Ravel ("Jeux d’eau", "Une barque sur l’océan"...), Debussy ou Bartók (deuxième concerto pour piano).
Cette envie de dépasser les limites du clavier dans le grave comme dans l’aigu, compromis entre le compositeur et les moyens organologiques de son époque, ne date pas d’hier. Elle est déjà présente chez Mozart, chez Beethoven, Scriabin ou Chopin mais les compositeurs ont toujours eu en tête que l’œuvre pour être exécutée doit rester jouable sur les pianos.
C’est sur un piano de Stephen Paulello à 102 touches, assez éloigné de celui du facteur australien Stuart & Sons également avec 102 touches que Cyril Huvé a enregistré ce disque. Il joue un répertoire (Liszt : sonate en si mineur, Scriabin : "Poème nocturne", "Vers la flamme", Debussy : "Brouillards", "La cathédrale engloutie", "Des pas sur la neige"…) écrit pour piano à 88 touches sans se servir donc des 14 touches supplémentaires. Mais cet instrument ouvre les possibilités acoustiques : les graves sont encore plus profonds, plus ronds, il y a une plus grande densité, plus de richesse de timbres, plus de dynamiques (dans les nuances notamment), de notes harmoniques (et c’est très important). La raisonnante est plus longue, la durée des notes change.
Sa fabrication est une autre particularité de ce piano. La structure générale est pensée autrement : les cordes ne sont plus croisées, la charpente est monobloc, une agrafe remplace les barres et le chevalet pour transmettre la vibration des cordes à la table d’harmonie. Cette nouvelle facture instrumentale oblige naturellement le pianiste à penser autrement son rapport à l’instrument et à la musique. Si l’on peut regretter une interprétation parfois téléphonée (dans la version de Liszt du "Ständchen" de Schubert par exemple), les versions des Scriabin, des Debussy et de la sonate de Liszt sont superbes. Les œuvres se donnent à entendre différemment, on redécouvre harmoniquement certains passages, ce qui leur confère encore plus de sens. Assurément un disque à découvrir !
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