La sortie d’un livre de Delphine de Vigan est dorénavant un événement qui ne passe plus inaperçu. Après le prix Renaudot obtenu pour D’après une histoire vraie, l’auteur de Rien ne s’oppose à la nuit revient en cette rentrée hivernale avec un nouveau livre, Les loyautés, une fiction sociale construite autour de quatre personnages.
Les loyautés sont définies par Delphine de Vigan dès la première page du livre. Elles sont, d’après l’auteur, "des liens indivisibles qui nous attachent aux autres - aux morts comme aux vivants-, ce sont des promesses que nous avons murmurées et dont nous ignorons l’écho, des fidélités silencieuses, ce sont des contrats passés le plus souvent avec nous-mêmes, des mots d’ordre admis sans les avoir entendus, des dettes que nous abritons dans le repli de nos mémoires. Ce sont des lois de l’enfance qui sommeillent à l’intérieur de nos corps, les valeurs au nom desquelles nous nous tenons droits, les fondements qui nous permettent de résister, les principes illisibles qui nous rongent et nous enferment. Nos ailes et nos carcans. Ce sont des tremplins sur lesquels nos forces se déploient et les tranchées dans lesquelles nous enterrons nos rêves".
A partir de cela, Delphine de Vigan nous propose un court roman de 200 pages qui expose à tour de rôle les points de vue de deux femmes et de deux adolescents. Il y a Théo, un jeune élève de cinquième perturbé et trimbalé entre ses deux parents divorcés, une mère qui se voile la face et un père qui vit reclus dans un appartement sale, dans la grande pauvreté. On trouve aussi Hélène, sa professeur de SVT, qui s’inquiète de son comportement, de ses résultats, pensant détecter des signes de maltraitance qui la replonge dans ce qu’elle a pu vivre au cours de sa jeunesse. Hélène qui va jusqu’à mentir à son chef d’établissement et s’en prendre à sa collègue d’EPS pour protéger et défendre Théo. Il y a aussi Mathis, l’unique ami de Théo, avec qui il boit régulièrement de l’alcool, même au sein du collège et Cécile, la mère de Mathis, femme au foyer, qui découvre au fil du livre le vrai visage de son mari, voyant son mariage se déliter.
Tous ces personnages sont dans une situation de souffrance et de grande solitude, tous sont liés les uns aux autres et tous ont peu honte de leur souffrance. A travers ces quatre personnages, Les loyautés s’expriment de différentes façons en fonction du vécu et de la personnalité de chacun d’entre eux.
Une fois de plus, l’auteur nous embarque dans une fiction sociale construite sur des personnages fragiles et marginalisés qui sont décrits avec une extrême justesse et une grande sensibilité que la plume de Delphine de Vigan a coutume de nous offrir.
C’est un roman triste que nous propose l’auteur, plein d’amour et d’empathie, qui se lit avec un grand plaisir. Delphine de Vigan nous embarque dans les tourments de ces quatre personnages dans un roman polyphonique, qui nous plonge dans un océan de questions. On s’attache aux personnages, on s’identifie parfois à eux, on s’interroge beaucoup sur leur attitude, sur les liens qui les unissent et les séparent, on souffre avec eux, on oscille entre espoir et désespoir tout au long du livre. Les pages défilent, on voit la lumière apparaître puis l’obscurité tout emporter quelques pages plus loin.
On tourne, enfin, la dernière page, se disant que l’on vient de finir un très beau livre, salutaire et bouleversant.
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