Comédie dramatique écrite et mise en scène par Sophie Lecarpentier, avec Stéphane Brel, Anne Cressent (ou Valérie Blanchon), Xavier Clion, Vanessa Koutseff, Solveig Maupu et Julien Saada.
Sophie Lecarpentier a sous-titré sa libre adaptation de "L'Education sentimentale" de Gustave Flaubert d'"épopée contemporaine".
Elle a entraîné sa petite troupe habituelle dans un marathon théâtral où il sera bien question de Normandie comme chez l'auteur de "Madame Bovary", mais aussi où l'on entendra les échos du "11 septembre", la voix de Lionel Jospin et où l'on se moquera gentiment des facéties des "bobos" et des "winners" d'aujourdhui.
On saluera la forme brillante que prendront les aventures de ces six copains-copines dans "Nos éducations sentimentales" qui pourrait être un remake de la série italienne "Nos meilleures années" de Marco Tullio Giordana.
Des multiples costumes réussis et variés de Solveig Maupu, aux lumières de Marinette Buchy, à la scénographie astucieuse de Charles Chauvet et aux ambiances sonores de Christophe Séchet, tout concourt à un récit rythmé, bourré de petits gags et de moments appréciables (comme cette évocation fort réussie d'une piscine).
Evidemment, il aurait peut-être fallu élaguer parmi les péripéties qui finissent par tourner un peu en rond. Mais Sophie Lecarpentier s'est sans doute un peu piégée elle-même puisqu'elle a, non seulement voulu suivre la trame de "L'Éducation sentimentale" mais qu'elle s'est aussi compliquée la tache en greffant dessus le principe narratif de "Jules et Jim", le film de François Truffaut.
C'est en effet une voix-off confiée à Frédéric Cherboeuf qui raconte l'histoire, avec pour parfaire le tout, des emprunts à la musique de Georges Delerue. Mais ce qui ne marche pas, et qui fait contresens, c'est que le texte de "Jules et Jim", tiré du roman d'Henri-Pierre Roché n'était pas le texte de "L'éducation sentimentale". Son écriture n'avait pas la densité de celle de Flaubert.
Dès lors, ici, Sophie Lecarpentier colle le sentimentalisme, pour ne pas dire la mièvrerie, chère au cinéma de Truffaut sur une histoire censée moderniser "L'Éducation sentimentale" et la faire se dérouler au début du vingt-et-unième siècle. Dès lors, est-ce une bonne idée de faire de Frédéric une espèce d'Antoine Doisnel qui veut réussir en montant à Paris pour devenir écrivain ?
Cette figure du jeune provincial qui veut écrire et réussir dans la capitale, déjà désuète avec simplement le personnage de Flaubert, est d'autant plus désuète en couplant Frédéric Moreau à Antoine Doisnel, caricature "poétique" d'un personnage à la... Frédéric Moreau, un siècle après l'original.
Bref, le propos perd en force puisque son personnage principal n'est socialement qu'un ectoplasme. Sophie Lecarpentier aurait dû en faire un médiatique, car même la figure d'un publicitaire par exemple aurait été aujourd'hui déjà surannée.
Dommage, car ce qui se regarde plaisamment, mais sans enjeux au niveau des caractères et de ce qu'ils pourraient dire de la jeunesse bourgeoise d'hier et d'aujourd'hui, aurait gagné en vérité et évité que le sujet s'effiloche à défaut de tout ancrage politique et social.
Reste, on le redit, un spectacle bien mené et bien tenu où excellent six comédiens (Stéphane Brel, Anne Cressent ou Valérie Blanchon, Xavier Clion, Solveig Maupu, Julien Saada, Vanessa Koutseff) qui prennent du plaisir à se déplacer dans l'espace et le temps, à passer de la jeunesse à l'âge mûr. |