Comédie dramatique de Howard Barker, mise en scène de Claudia Staivisky, avec David Ayala, Frédéric Borie, Christiane Cohendy, Anne Comte, Eric Caruso, Luc-Antoine Diquiéro, Philippe Magnan, Julie Recoing et Richard Samut.
Avec "Tableau d'une excution" le dramaturge britannique Howard Barker aborde le rapport de l'Art et de l'Etat dans un contexte historique particulier, en l'occurrence celui de la Renaissance, quand les peintres ne pouvaient vivre de leur art et accéder à la reconnaissance et à la notoriété, que par la "grâce" de deux commanditaires exclusifs, à savoir l'Etat et l'Eglise.
Ce qui ancre la réflexion de l'auteur sur la peinture d'Histoire, la finalité de l'Art, le rapport de l'Art et du pouvoir, quand le premier constitue un instrument de propagande et de manipulation des masses, la liberté créatrice de l'artiste, sa faculté d'accommodement, de l'apologie à la dissidence, face aux impératifs politiques et son rôle comme acteur politique, du guide ou "voyant" détenteur de la vérité.
Le titre original, "Scenes from an execution", s'avère plus explicite tout en laissant subsister la polysémie quant au sens du terme exécution qui se réfère tant à une réalisation matérielle, en l'espèce un tableau, qu'à la mise en mort sociale d'un individu, celle de l'artiste signataire, dès lors que l'opus se compose d'une série de tableaux dramatiques relatant la démarche d'un peintre ayant accepté une commande officielle tout en ayant décidé de s'affranchir de son cahier des charges.
De plus, Howard Barker complexifie l'exercice en ajoutant un paramètre singulier puisqu'il s'agit d'une femme-peintre dont l'oeuvre ne ressort pas à l'académisme dont il relate tant les sentiments que les préoccupations "professionnelles".
Il en livre un portrait qui si, au plan dramaturgique, tend vers la figure tragique, n'est pas vraiment celui d'une femme sympathique dès lors qu'elle affiche un mépris absolu pour ses homologues qu'elle tient, à l'aune de son propre talent, pour tous pour médiocres, et notamment son amant, artiste médiocre versé dans la peinture de dévotion, et sa fille cantonnée dans le portrait dit féminin.
Ainsi Anna Galactia, personnage de fiction inspirée par la réelle et emblématique Artémisia Gentileschi, est choisie par le Doge de Venise pour réaliser une fresque commémorative de la victoire des vaisseaux de la Sainte Ligue, menés par son frère-amiral, lors de la bataille de Lépante intervenue dans le cadre de la guerre vénéto-ottomane.
Maitresse femme, femme libre de mœurs et artiste déterminée qui aspire à la gloire attachée à la peinture d'histoire qui trône dans la hiérarchie des genres picturaux, elle ambitionne néanmoins d'en révolutionner les codes en substituant la représentation triviale de la barbarie et l'exacerbation naturaliste des atrocités guerrières commises pour la réputation des puissants à la commémoration extatique du haut fait d'arme et à l'héroïsation du vainqueur, ce qui génère des confrontations déflagratoires.
Claudia Stavisky met en scène le texte dense à la langue puissante du "théâtre de la castatrophe" pratiqué par Howard Barker qui cerne et expertise brillamment le propos - et sur lequel doit se concentrer le spectateur - dans une superbe et symbolique scénographie esthétisante élaborée par Graciela Galán.
Car la partition des principaux protagonistes est portée par des comédiens aguerris qui, en l'espèce, officient dans le registre du numéro d'acteur : Luc-Antoine Diquéro en estropié Grand Guignol, David Ayala en gros balourd, Philippe Magnan expert en pince-sans-rire cynique et Christiane Cohendy joue à l'envi du vibrato de sa voix grave pour verser dans le déclamatoire à la Marie Bell. |