Frédéric Ciriez est de retour, au rayon des romans, avec de nouveau un ouvrage original et loufoque sur la rencontre de deux critiques littéraires et sur leurs péripéties ; l’un est sur le déclin (Stéphane Sorge) quand l’autre, Bettie Book, une booktubeuse est en pleine ascension, une critique à la mode. L’un s’intéresse à l’autre, Sorge est curieux de la renommée naissante de Bettie, spécialiste dans les dystopies. C’est donc l’histoire d’une rencontre, d’une partie de sexe et d’un conflit autour d’une vidéo entre deux mondes opposés.
Le livre est composé de 5 parties inégales, Money, Ideology, Compromise, Ego et Milice. Il démarre par une introduction loufoque qui est consacrée à l’enterrement médiatique du youtubeur Norman, permettant à l’auteur de formuler une critique acerbe de la culture web. Le livre devient vraiment intéressant à partir de la troisième partie, compromise, et jubilatoire avec les deux dernières parties. L’auteur y dévoile un style littéraire qui n’appartient qu’à lui, d’une très grande originalité mais en même temps très construite (malgré l’impression décousue) qui nous permet de comprendre le pourquoi du comment, venant ponctuer l’histoire de façon curieuse et originale.
Venons-en à cette histoire. Ou plutôt à ces histoires. Stéphane Sorge, la quarantaine, est un critique littéraire réputé, surnommé super style ou SS. Hyperactif, passionné par la revue détective, une revue assez glauque qui traite d’histoires criminelles infâmes, il travaille pour le monde des livres, fait des piges à la télé et à la radio. Il fait partie de jury littéraire, est présent dans les salons littéraires. Une mauvais critique, faite à la va-vite à cause d’une épreuve non corrigée perdue dans un train lui vaut une déferlante de critiques à l’égard de son travail.
Bettie Book a 22 ans, elle est ce qu’on appelle une Booktubeuse. Elle tourne des vidéos depuis sa chambre, elle est suivie par des milliers de followers. Ils n’ont rien en commun.
SS enquête pour le monde des livres sur le phénomène des Booktubeuse. Il la rencontre au cours d’un salon, se retrouve rapidement séduit, presque amoureux. Elle, de son côté, le voit comme un loser, un vieux de la vieille. Elle ne regarde pas la télé, la radio ne l’intéresse pas et les journaux sont d’un autre temps pour elle.
Pour la séduire, SS va feinter, lui promettre de l’emmener à la convention mondiale de la dystopie. C’est un peu gros mais cela marche. Elle se retrouve dans son lit.
Et c’est cette nuit d’amour, de sexe surtout qui est au cœur du livre, qui fait du livre une vraie bonne surprise aussi. Déguisé en Tom et Jerry à la demande de Bettie Book, Frédéric Ciriez nous offre sur de nombreuses pages un grand moment de littérature, d’une très grande drôlerie dans lequel les deux tourtereaux utilisent des objets insolites dans leurs ébats, notamment un vibromasseur endoscopique relié à un ordi qui servira à produire une vidéo.
Et cette vidéo va alors se retrouver au cours du chapitre suivant, où on les retrouve, non plus dans un lit, mais dans un tribunal, en plein conflit. Une fois encore, on rigole et l’auteur nous étonne dans un autre style. Le chapitre construit autour de PV de police, de témoignages, d’extraits d’audience, nous procure un plaisir jubilatoire. La vidéo s’est retrouve sur le net, et les amants s’accusent mutuellement.
Le livre devient alors un bref thriller, l’espace d’un chapitre.
Bettie Book est donc un livre qui ne ressemble à aucun autre. Son auteur, Frédéric Ciriez se fait tour à tour drôle, érotique et assassin. Il incarne avec une cruauté loufoque les enjeux actuels de l’industrie culturelle, ses splendeurs déchues, ses leurres en vogue et ses lueurs insoupçonnées.
Il nous offre, enfin, un petit moment de lecture bien sympathique. |