Journaliste allemande, Barbara Dribbusch a muri ce premier roman suite à de longues (et j’imagine difficiles) recherches sur l’histoire de la psychiatrie des années 1920 au régime nazi. Entre passé et présent, Le bois des ombres incarne avec élégance le fruit de l’investigation de l’auteure.
Sans fausse pudeur ni pamphlet éhonté sur les mauvais traitements subis par les premiers internés en maisons de fous, Le bois des ombres commence comme un roman de gare. Anne rencontre un type super sympa et super beau (comme de par hasard assis juste à ses côtés) dans l’avion qui l’emmène assister aux obsèques d’une grand-mère qu’elle n’a pas vu depuis un bail ou plus.
Il se trouve qu'Anne ne parle plus à mamie Charlotte depuis que maman et papa ont perdu la vie dans un accident sur la route de chez mamie. Bah, c’est pas de sa faute à mamie Charlotte. Mais la sagesse des anciens (dont nous devrions tous êtres dotés à la naissance) a gardé mamie très triste, et pas rancunière. Elle a compris et accepté d’être le bouc-émissaire de la colère d'Anne pendant de longues années, jusqu’à sa mort en fait.
Et forcément, maintenant que la Camarde a pris mamie, Anne aimerait bien lui demander pardon, lui demander comment s’est passée sa journée et porter ses courses. Et puisque cela ne se peut, elle met toute sa volonté dans l’inventaire des biens de sa défunte aïeule. C’est ce faisant qu’elle retrouve une pile de petits cahiers jaunis, noircis de l’écriture de mamie. Des journaux intimes rédigés en 1943, quand elle fit un séjour au "bois des ombres", établissement spécialisé dans les traitements des foldingues.
Sans pathos et avec une énergie à couper le souffle, mamie Charlotte (Charlotte tout court à l’époque) raconte le quotidien des internés dans l’Allemagne des années 40. Tout en délicatesse, Barbara Dribbusch distille le fruit de ses recherches dans les lignes de Charlotte. De plus, elle a le talent d’y tisser une intrigue à faire tourner les pages plus vite, faisant dévorer le livre comme on ne déguste pas les cookies. Pourquoi les derniers journaux de mamie Charlotte ont disparu ?
Barbara Dribbusch a l’intelligence de ne pas cliver ses personnages, ses propos prennent du recul, contextualisent les décisions de "sacrifier" des patients, de cacher des faits, de déguiser des réalités, de camoufler, de mentir pour protéger et de dénoncer pour sauver.
Son écriture est fluide, elle invite à s’incarner dans les protagonistes, à s’y attacher et leur prêter les circonstances de leurs décisions. N’oublions pas les courageux de l’Allemagne des années Adolf H. N’oublions pas d’où nous venons. N’oublions pas les combattants de l’ombre, ceux qui défendent les "causes perdues" et font progresser les prises en charges de leurs congénères hors normes.
Entre histoire et fiction, de l’introspection, des secrets, des tristesses et des pardons, des avancées et de la bienveillance… Personne n’est tout noir ou tout blanc, mais chacun est responsable de ses chaînes, brisez-les ou traînez-les. |