Comédie dramatique de Jean-Luc Lagarce, mise en scène de Chloé Dabert, avec Cécile Brune, Clotilde de Bayser, Suliane Brahim, Jennifer Deckert et Rebecca Marder.
"J'étais dans ma maison et j'attendais que la pluie vienne", deuxième opus, entre "Juste la fin du monde" et "Le Pays lointain" de la trilogie ultime de Jean-Luc Lagarce qu'il qualifie de "lente pavane des femmes autour du lit d’un jeune homme endormi " s'ordonne autour d'une déclinaison du thème récurrent d'un hypothétique retour d'un fils/frère depuis longtemps "disparu".
Un quintet féminin composé d'une femme âgée, de la mère et des trois soeurs du fils, qui n'est jamais nommé autrement que comme "le jeune frère" ou plus anonymement comme "celui-là", se livre à un psychodrame qui tourne en boucle, comme l'écriture circulaire de Lagarce, et avorte toujours sur le chemin de la résilience.
Car le travail mnésique rétrospectif organisé de manière kaléidoscopique émane de personnages qui oralisent davantage pour elles-mêmes que pour les autres, n'écoutent pas et ne sont pas écoutés ce qui aboutit à des pseudo-scènes dialoguées résultant de la juxtaposition de soliloques en forme de flux de pensée.
Le traitement polyphonique de cette situation par ailleurs proche de celle de "L’Intruse" de Maurice Maeterlinck, qui entre en résonance davantage avec "Les Vagues" de Virginia Woolf que "Les Trois soeurs" d'Anton Tchekhov, même si citées par l'auteur, s'affranchit donc des procédés dramatiques conventionnels.
Chloé Dabert, comme dans d'autres de ses mises en scène, telle par exemple celle récente de "L'abattage rituel de Gorge Mastromas" de Dennis Kelly, n'officie pas dans ce registre "éthéré" - cependant esquissé par le décor de Pierre Nouvel certes "classieux" à l'opposé du substrat social lagarcien, qui symbolise, avec des cimaises de tulle blanc, le squelette d'une maison fantôme propice à la projection mentale - pour réimplanter la partition dans le réalisme démonstratif .
Si Cécile Brune, dans le rôle de l'aieule, semble absente, Clotilde de Bayser campe une mère à l'exubérance hystérique quand elle parle du retour d'un fils que la faiblesse ou la maladie ramènerait à un état de dépendance maternelle et, dans le rôle de la fille cadette, réduite à la bougonnerie infantile, Rebecca Marder se répand en démonstration d'humeurs avec force pleurnicheries qui nuisent à l'audibilité même de son discours.
Seules Suliane Brahim et Jennifer Decker parviennent à délivrer ce qui caractérise la musique du verbe lagarcien. Avec le naturel du jeu de Jennifer Decker, son personnage semble être l'avatar jeune de la fille aînée ce qui introduit la confusion des temporalités pratiquées par Jean-Luc Lagarce.
Et exceptionnelle s'avère la prestation de Suliane Brahim qui, tout au long de l'opus garde une très juste unité de ton qui ne fait pas obstacle à la délivrance, en filigrane et avec une éloquence sensible, des émotions du personnage et suscite l'émotion du spectateur. |