En janvier dernier, Aharon Appelfeld nous quittait, après avoir vécu près de 85 années, après avoir perdu sa maman enfant pendant la guerre, connu le ghetto puis la déportation dans un camp à la frontière ukrainienne dont il réussit à s’échapper en 1942. Il est considéré aujourd’hui comme l’un des plus grands écrivains israéliens du XXème siècle. Auteur d’une quarantaine de livres, dont Histoire d’une vie qui reçut le prix Médicis, il nous offre en cette fin de janvier 2018 un magnifique livre posthume, Des jours d’une stupéfiante clarté, édité aux éditions de l’olivier.
Aharon Appelfeld nous raconte l’histoire de son double, Théo, âgé de vingt ans, qui quitte le camp de concentration que ses gardiens viennent d’abandonner à l’approche des russes. Théo décide de rentrer chez lui seul et à pieds. Il ne veut plus de la compagnie de ses camarades de captivité. Il va découvrir le vide, des étendues de champs à perte de vue. Son retour à la vie se veut être celui qui s’accompagne de la nature. Cette nature, les paysages traversés par Théo sont décrits avec une grande délicatesse par l’auteur. Théo marche vers la liberté et sa famille, que nous allons croiser régulièrement dans le livre. Il compte retrouver sa mère qu’il pense être interné dans un monastère reconverti en unité psychiatrique. Son guide, c’est sa mère, sa stupéfiante clarté, sa terre promise.
C’est donc ce voyage que nous raconte l’auteur, les rencontres de Théo, avec d’anciens déportés qui vont lui rappeler l’horreur qu’il a pu vivre dans ces camps, avec des inconnus aussi qui vont éveiller en lui des souvenirs de ses parents. Sa mère est très présente dans le roman, une mère magnifique et fantasque, qui aime les églises, les monastères et la musique de Bach. Il se souvient aussi de son père, Martin, un homme discret qu’il va apprendre à mieux connaître. Sur son chemin, Théo va rencontrer Madeleine, une femme qui a connu ses parents qu’il va soigner. Et lui permette d’apprendre de nombreuses choses sur son père. Il va découvrir de son père un libraire amoureux fou de sa mère, prêt à tout pour elle.
Ce voyage, c’est aussi une quête pour un retour vers la vie, un voyage où Théo doit tout réapprendre. Il doit réapprendre à manger, son palais n’est plus habitué aux délices sucrés. Il doit réapprendre à dormir aussi car il a des mois de sommeil à récupérer. Son voyage vers la maison familiale représente une véritable rééducation à la vie dans ce qu’elle a de plus simple.
Son voyage n’est pas pour autant sans danger, de nombreuse personnes qu’il rencontre ne comprennent pas son désir de solitude, de voyager seul. Ils ne comprennent pas non plus la destination de son voyage. Il affronte l’incompréhension, l’hostilité et parfois la violence. Heureusement, son parcours est aussi jalonné de merveilleuses rencontres comme celle qu’il fait avec un groupe de résistants qui aident les personnes à retourner chez eux ou comme celles qui lui permettent de se réchauffer auprès d’un bon café bien chaud.
Ce voyage, c’est aussi un foisonnement de questions qui arrivent au fur et à mesure de son parcours et de ses rencontres. Comment vivre après avoir vécu l’horreur ? Pourquoi est-il vivant alors que d’autres ne sont plus ? Comment concilier passé et présent, solitude et solidarité ? Comment retrouver sa part d’humanité après une telle catastrophe ? C’est en fait l’histoire de l’auteur, celle déjà évoquée dans nombreux de ses précédents romans. Ce sont les questions que les survivants se sont posés après la libération des camps, aboutissant à des suicides pour certains, à une résurrection pour d’autres.
Ce livre, ici, c’est le récit d’une résurrection, par delà le fracas de l’histoire. L’histoire d’un être qui a foi en la vie mais aussi un livre qui nous montre dans quel état psychique pouvait être les survivants des camps à leur libération.
Des jours d’une stupéfiante clarté est un livre bouleversant, merveilleusement écrit comme tous les livres d’Aharon Appelfeld qui nous confirme le vide immense laissé par la disparition de l’auteur. Le voyage de Théo s’achève au bout du livre, emmenant avec lui un immense auteur qu’on n’est pas prêt d’oublier. |