Il est souvent des relations compliquées entre les parents et les enfants, entre une mère et son enfant pour des raisons que les deux ne connaissent pas toujours, pour des silences, des éléments jamais racontés, pour ce qu’on croit être de la pudeur quand il n’est souvent qu’un manque de courage.
Il est aussi des livres qui nous happent dès la première page, à l’écriture sensible et poétique, qui nous procure en très peu de pages, ici à peine 150, un immense plaisir de lecture.
Il est, enfin, un livre de Gabrielle Tuloup, son premier roman, édité aux éditions Philippe Rey, qui réunit tout ce que je viens de dire plus haut. Gabrielle Tuloup, championne de France de slam, agrégée de lettres et enseignante en Seine-Saint-Denis nous décrit l’émouvant chassé-croisé de deux êtres qui tentent de se retrouver avant que la nuit recouvre leur mémoire.
Nathan vient juste de passer la quarantaine quand il reçoit un appel téléphonique d’une inconnue qui lui indique que sa mère souhaite le voir en urgence. Sa mère, il s’efforce de l’oublier depuis bientôt quatre ans, depuis le décès don père. Il a quitté Paris pour un boulot en Slovénie. Nathan décide de revenir sur Paris, de revoir sa mère qui a bien changé. Atteinte de la maladie d’Alzheimer, elle ne le reconnaît presque plus. Nathan apprend que sa mère a confié huit lettres à sa voisine avec pour instruction de les lui remettre selon un calendrier bien précis. Avec l’impression d’être manipulé, intrigué par les courriers, Nathan va se décider à les ouvrir.
Ces lettres, au nombre de huit, que l’on découvre au fil du livre, d’une grande sincérité, vont éclairer Nathan sur la jeunesse de sa maman. Nathan va apprendre de nombreuses choses, en comprendre certaines aussi. Il va comprendre le couple qu’elle formait avec son mari, les difficultés qu’elle avait à aimer ce fils envers qui elle était si froide. Il va apprendre sa liaison avec un enseignant, ses confidences à Blanche (la grand-mère) qui désapprouvait cette liaison. Elle lui raconte sa rencontre avec son père puis son installation rapide chez lui. Elle lui raconte enfin le décès de son père et les conséquences sur leurs rapports. Il va enfin apprendre, dans la dernière lettre une chose bouleversante que sa mère a connu quand elle était jeune.
En même temps qu’il découvre ces lettres, Nathan se débat avec ses amours impossibles, sa solitude et ses fuites (de sa mère et de sa compagne). Toutes ces lettres vont alors avoir une caisse de résonnance dans sa propre vie comme si la résolution de ses propres empêchements de vivre se trouvait dans celles-ci.
Ce livre de Gabrielle Tuloup est superbement écrit. Les mots qu’elle couche sur le papier pour nous dévoiler ce que représente la maladie d’Alzheimer pour la mère sont magnifiques.
"Depuis quelque temps la vie est parfois un peu floue. J’ai du mal à distinguer hier d’avant-hier, et les mots qui ont une consonance proche prennent un malin plaisir à jouer à cache-cache les uns derrière les autres. Evidemment il y a des ruses, noter l’heure des rendez-vous, ne pas oublier la liste des courses, trouver un synonyme quand le mot juste file dans un recoin du cerveau. On peut toujours réussir - pour un temps au moins - à garder haute cette tête qu’on finira par perdre tout à fait. On peut s’arranger, comme je l’ai fait, pour remballer les angoisses loin derrière le décor et faire bonne figure. Puisque Alzheimer a choisi d’élire domicile dans mes souvenirs, j’ai décidé d’être polie : j’ouvre la porte. On ne s’oppose pas à un être de cette envergure".
La nuit introuvable est un livre bouleversant, une petite pépite qu’il faut absolument lire. |