En 2018, à l'approche de la cinquantaine, le comédien, romancier, compositeur de chansons, auteur dramatique et metteur en scène Pierre Notte, figure du paysage théâtral français reconnu par la profession et connaissant un succès tant critique que public*, trois opus à l'affiche en 2017 "La nostalgie des blattes", "Night in white Satie, l'Adami fête Satie" et "L'histoire d'une femme", procède à une nouvelle édition de son premier roman intitulé "La chanson de Madame Rosenfelt".
Publié en 1993, il constitue le premier texte, sans doute fondateur, certainement, salvateur, et, peut-être d'exorcisme, d'un jeune homme de 24 ans en quête d'amour et de reconnaissance. De reconnaissance non seulement de sa vocation d'écriture mais de celui qu'il aime, mais qui l'a quitté, et qui lui a inspiré ce texte, l'homme de lettres Julien Cendres.
Ce roman, au demeurant préfacé par ce dernier qui le qualifie de "tragédie lente", relate par la voix d'un jeune homme engagé comme dame de compagnie, l'histoire d'une chanteuse qui vit recluse après la perte de sa voix.
Roman fondateur parce qu'il lui permet d'impressionner Julien Cendres qui vient le voir après une tentative de suicide subséquente ("il a été impressionné, j'ai réussi mon coup, mon roman, le premier, il est là, qui fait de moi son petit Radiguet").
Salvateur parce qu'il l'a envoyé à Barbara qui lui a répondu et l'a sorti de son trou noir.
Mais cela découle d'un autre texte intitulé "J'ai tué Barbara" qui matériellement le précède dans l'édition 2018, un texte écrit en 2017, de nouveau sur l'impulsion de Julien Cendres, ayant pour sujet Barbara et son premier roman.
Julien Cendres, figure majeure, essentielle, sur laquelle s'ouvre et se clôt le récit, l'aîné aimé qui lui conseille de s'accorder un peu de douceur pour vieillir sans peur et qui clôturait ainsi sa préface : "Pierre Notte, écrivain de vingt ans et de la fin d'un monde, absent présent et voyeur roi, c'est l'ange (de la mort) qui, seul l'accompagne...".
Ainsi relate-t-il la passion défunte de Pierre Notte pour la chanteuse et l'histoire de l'écriture du roman, les deux étant indissociablement liés à sa vie personnelle ce qui le fait donc également ressortir à l'autobiographique.
Ce texte se développe en chapitres courts titré par le prénom des personnes qui ont traversé sa vie, celui d'anonymes comme le fiancé de sa soeur qui le déniaise sans ménagement à celui de Marlène Amar qui l'initie au journalisme et Nicole Croisille.
Barbara, l'unique ("Personne n'a chanté l'amour comme Barbara"), est le fil rouge de la vie de Pierre Notte biberonné aux chansons d'amour mélodramatiques qui aident sa mère à surmonter la pénibilité de la vie avec un mari alcoolique et violent. Il s'identifie avec la chanson "Pierre" ("Elle parle de moi, elle me connait, elle dit que mon prénom est un prénom magique") qui constitue un déclic pour apprendre en autodidacte à jouer du piano.
Mais lors du concert à Mogador en 1990, "elle n'a plus la même voix, elle danse, une danse macabre, bouge son corps en fantôme de douleur" et elle est devenue "un monstre d'obscénité, gestes appuyés... en appuyant de ses doigts lourds sur des notes fausses". Et comme une idole qu'on abat, Pierre Notte tue Barbara, l'amour n'est plus.
Ce qui éclaire le roman, dont la protagoniste pourrait être un clone idéalisé dans le tragique de Barbara avec le renoncement pour éviter le pathétique, que Pierre Notte résume comme "l'histoire d'une femme qui chantait, qui a connu la reconnaissance, mais dont la voix s'est perdue... qui a perdu sa voix, son élan, sa jeunesse ou sa grâce, qui refuse l'amour naissant, trop dangereux, trop de douleurs à venir et de regrets à anticiper déjà"
Quant à l'écriture du roman, elle se déroule à une période de la vie d'une personnalité-limite, borderline et même overline, à la dérive morbide, qui n'est pas encore sorti de ce qu'il ressent comme des "trous obscurs" et des "caves à torture", entre addictions médicamenteuses et tentatives de suicide.
Car depuis l'enfance, il est en quête d'amour tout en entretenant un rapport ambigu et paradoxal avec l'amour ("Je n'aime pas, j'aime être aimé", "Je ne sais pas aimer. J'aime pour être aimé") imbriqué avec la reconnaissance de soi ("Je vais être aimé comme personne et le dirai je t'aime de temps en temps pour relancer la machine") comme avec la vie et la mort ("Je suis prêt à vivre n'importe quoi" , "J'ai vingt-trois ans, je vis seul je n'irai pas plus loin").
Pierre Notte relate son parcours et révèle avec une grande lucidité la détresse psychologique qui a miné ses jeunes années ("Je porte ma haine de moi, difficulté d'être et mal de vivre tricotés ensemble, sans comprendre"), les psycho-traumatismes, l'anxiété et le vide existentiel comme qui ont généré un comportement autodestructeur tous azimuts
Automutilations ("J'ai à peine dix ans quand ça commence. Les coupures, les brulures,les conneries, les violences. A seize ans je m'attaque aux poignets"), vols, addictions médicamenteuses, prostitution occasionnelle, sexualité homosexuelle violente et tentatives de suicide, autant d'appels muets sans réponse et autopunitions récurrentes, émaillent ce récit rétrospectif et cathartique saisissant pour "avec le soleil noir, enfin en finir". |