"S’il y a bien quelqu’un qui doit tout à Bach, c’est bien Dieu". Cioran, Syllogismes de l’amertume
On pourrait penser que c’est une idée complètement farfelue de reprendre les Inventions & Sinfonias de Bach au clavier Juno 106. Cela serait très mal connaître la musique de Jean-Sébastien Bach. Cette musique si superbement écrite, si précise et fantastique dans sa construction, si sublime dans ses mélodies, si intemporelle (elle est la pierre angulaire de l’improvisation jazz), qu’elle se prête remarquablement à une redistribution des voix à toutes sortes d’instruments (allez jeter une oreille si ce n’est déjà fait au Bach Sax de Pierre-Stéphane Meugé, au 32 Foot - The Organ Of Bach de l’ensemble BlindMan, au Bach au marimba du Trio SR9, aux versions au vibraphone de Claude Guilhot....).
L’important n’est pas le timbre de l’instrument mais la façon dont ce timbre va s’harmoniser avec l’écriture de J.S. Bach. Surtout la musique du compositeur allemand a ce génie d’être comme une page blanche, laissant à l’interprète une certaine marge d’interprétation, elle agit comme une sorte de révélateur, on peut s’y épanouir (comme Gould, Murray Perahia, Vladimir Feltsman, Andreas Staier, Jean-Guihen Queyras, Pierre Fournier, Nikolaus Harnoncourt, Philippe Herreweghe...) comme s'y perdre (Evgeni Koroliov, Helmut Rilling, Blandine Verlet, Racha Arodaky, Tatiana Nikolaïeva, Mischa Maisky...), voire les deux (Zhu Xiao-Mei) ou même laisser toujours interrogatif (pour Nemanja Radulovi? par exemple).Tout est affaire de phrasés, de dynamiques, d’articulations, d’intelligence.
Qu’importe donc que cette musique soit jouée au clavecin, au piano, au saxophone, au basson ou au Juno 106. Rendre toute la musicalité de ces pièces pédagogiques destinées à guider les apprentis musiciens dans "l’art de jouer à deux parties, mais également, en progressant, celui de maîtriser parfaitement trois parties obligées, d’acquérir non seulement de bonnes Inventions, mais de les bien développer ; mais par dessus tout, d’obtenir un jeu cantabile, tout cela en contractant un avant-goût sûr de la composition" dixit le maître est l’apanage des grands musiciens et Julien Lheuillier (Pointe du Lac) s’en sort avec beaucoup de panache.
Et puis à l'inverse de ce que l’on peut lire parfois, les inventions et symphonias ne sont pas écrites spécifiquement pour le clavecin mais pour n’importe quel instrument à clavier. Et elles sonnent plutôt bien au Juno 106. Il faut dire que ces claviers possèdent une chaleur, des basses profondes. Bien sûr, on pensera forcément à Walter (Wendy) Carlos mais c’est anecdotique. Surtout et c’est le plus important, on retrouve dans l’interprétation de Julien Lheuillier beaucoup de souplesse et de clarté. Très intéressant ! |