Réalisé par Wim Verstappen. Pays Bas/Allemagne. Erotisme. 1h23 (Sortie le 30 septembre 1971). Avec Hugo Mestsers, Carry Tefsen, Wim de Meijer, Ine Veen, Kees brusse et Helmert Woudenberg. Pim & Wim : le nom pourrait être celui d’un duo comique à la Jerry Lewis et Dean Martin. Sauf que ces deux-là sont cinéastes et producteurs, et pas de comédies. Wim & Pim, c’est le tandem qui a changé les codes de la représentation du sexe à l’écran dans une Hollande conservatrice, dépassée par le désir de liberté exprimé par une partie de sa population.
On s’encanaille donc à la Cinémathèque française du 6 au 27 juin 2018 devant la Rétrospective Dutch Sex Waves. Mais on s’encanaille en connaisseurs, devant des copies rares de films pratiquement invisibles. Dans ces raretés du cinéma hollandais, on retrouvera bien d’autres œuvres de Pim & Wim, ainsi que les deux premiers films de Paul Verhoeven, des documentaires sur la sexualité aux Pays-Bas ou une fiction co-écrite par Martin Scorsese, "Obsessions", au tropisme voyeuriste.
Mais ce cinéma n’est pas, justement, simple affaire de voyeurs. La représentation du corps à l’écran, et en particulier du corps jouissant, est également un sujet politique. Au-delà du plaisir des yeux et des corps, c’est la liberté même des êtres qui est interrogée, titillée, éveillée. Une liberté qu’on aime à découvrir dans "Les Affamées(Blue Movie)", de Pim & Wim. Ce coup-ci, c’est Pim (de la Parra) à la production et Wim Verstappen à l’écriture et à la réalisation.
La trame narrative est plutôt simple. Un homme (Hugo Metsers) sort tout juste de cinq années de prison. Son crime ? Une liaison avec une jeune fille de quinze ans. Flanqué de son inénarrable contrôleur judiciaire (Helmert Woudenberg), il s’installe dans l’une de ces nouvelles barres d’immeubles qui poussent comme des champignons au milieu de nulle part. Mais, à défaut d’horizon, ce grand immeuble comporte bien des tentations. Une belle Allemande, épouse d’un professeur spécialisé dans l’étude des singes et peu porté sur la chose, une femme au foyer délurée, une mystérieuse brune que le personnage principal aimerait bien savoir comment aborder…
On le devine, l’abstinence de longue durée de notre héros ne s’éternisera pas au contact de toutes ces femmes. Il faut dire que les temps ont changé. Fini les préservatifs et précautions d’usage, vive la pilule ! Les jupes se sont raccourcies, les soutien-gorge ont été remisés on ne sait où. Le goût du plaisir est là.
C’est l’un des éléments intéressants d’un film qui n’aurait pu être qu’une succession de scènes de coucheries filmées frontalement, un hymne à la gloire du "Crazy honky" de Hugo Metsers, comme son propriétaire se plaisait à surnommer sa virilité. La relation que noue le personnage principal avec beaucoup de ses belles voisines n’est pas dénuée de complicité ; les amants rient beaucoup, discutent un peu, et s’accordent surtout sur leur droit à partager les joies de la sexualité, sans jugement moral ou tabou. Les femmes donnent rarement l’impression d’être uniquement des objets de désir, mais semblent participer pleinement à cette libération des mœurs et des corps.
La bonne humeur et le comique ne sont donc jamais loin dans "Les Affamées", titre français regrettable qui fait des personnages féminins des nymphomanes jetées sur le corps de l’homme. La circulation des personnages dans l’immeuble est l’occasion d'improbables rencontres. Le début du film penche ainsi franchement vers la comédie : le héros cherche un prétexte pour aller sonner aux portes voisines. Après avoir répété son petit discours devant un miroir, il sort avec sa tasse vide pour réclamer du sucre. Et croise, sur le palier, une jolie jeune femme, elle aussi munie de sa tasse. Il la recroisera à plusieurs reprises dans le film, toujours avec sa tasse.
Le thème de la sexualité dans les grands ensembles n’est pas sans évoquer le "2 ou 3 choses que je sais d’elle", de Jean-Luc Godard. Inspiré d’une enquête publiée dans le Nouvel Observateur sur la prostitution dans les grands ensembles, le cinéaste s’interrogeait sur les rapports du sexe et de la consommation. Ici, le sexe est considéré comme moyen d’ouverture. A la fin du film, le personnage principal organise des soirées fines. Avec l’aide d’une de ses maîtresses, il retire les panneaux de verre qui délimitent les balcons de chaque appartement, créant un nouvel espace où l’on peut, librement, déambuler. Dans ces soirées, tous les âges, tous les milieux, toutes les préférences se retrouvent.
Toutefois, le film bascule dans sa dernière partie vers quelque chose de plus grave. Soudain, la mort fait irruption dans l’immeuble ; la lassitude de la chair s’installe aussi, progressivement, et le personnage semble aspirer à plus. De vraies relations, peut-être, à l’image de l’amour qui unit le professeur Cohn à son épouse. Une fin un peu mélancolique, pour ce film érotique qui se termine sur un échange de regard. |