Armistead Maupin, immense auteur ayant déjà conquis des milliers de lecteurs avec notamment ses Chroniques de San Francisco, vient de publier un très bel ouvrage, Mon autre famille, aux éditions de l’Olivier. Ce livre, une autobiographie, est pour lui le récit d’une vie, de sa jeunesse en Caroline du Nord jusqu’à son arrivée à San Francisco où il rencontrera cette autre famille. C’est aussi pour lui le récit d’une lente acceptation de soi, autour de son homosexualité, révélée dans un magazine dans les années 90, avec comme toile de fond près de cinquante ans d’Histoire américaine.
Construit autour de deux parties principales, l’avant et l’après l’arrivée à San Francisco, Armistead Maupin a pris soin de débuter chacun de ses chapitres par une photographie. Quand il était bébé dans les bras de sa mère, lors de sa communion devant une église, avec un groupe de copains en pleine adolescence, lorsqu’il était militaire, en train de serrer la main du président Nixon, avec son compagnon et son père. Ces images viennent illustrer sa vie, autour de ses écrits.
Armistead Maupin est originaire de Caroline du Nord, un Etat connu pour ses relents racistes, un Etat ségrégationniste et homophobe. Il nous raconte être né dans une famille aux idées très bornées avec un père avocat de droite, raciste et homophobe et une mère tendre et généreuse. Dans sa jeunesse, il n’aura de cesse de vouloir être un héros pour son père. On le voit défendre des idéaux réactionnaires dans sa jeunesse. A la fac, il va même jusqu’à s’illustrer par des propos ultraconservateurs, à l’encontre de ce qu’il est aujourd’hui. Il s’engagera dans la marine puis demandera même son affectation au Viêt-Nam, toujours pour que son père soit fier de lui.
Et c’est bien la guerre du Viet-Nam qui va changer sa vie, du moins son retour vivant de cette guerre absurde. A son retour, il va comprendre qu’il doit changer quelque chose dans sa vie. Comprendre qu’il doit partir surtout, quitter cette Caroline du Nord qui ne lui correspond pas pour aller à San Francisco qui est à la tolérance ce que sa Caroline natale est à l’intolérance. Deux lieux complètement opposés et une nouvelle vie pour lui.
San Francisco, la deuxième partie du livre, devient un véritable électrochoc pour lui. Il va devenir journaliste, écrire ses fameuses chroniques puis militer pour la cause homosexuelle. Armistead Maupin nous entraîne alors dans le San Francisco des années 70 et 80 où se mêlent libération sexuelle et amoureuse sur fond d’expérimentations narcotiques. Il y vit un énorme épanouissement, une renaissance en quelque sorte. Il nous permet de voir et de comprendre l’évolution des mœurs de la société américaine, l’émergence des mouvements gays et lesbiens dans une ville connue pour concentrer une immense communauté homosexuelle. Il nous raconte les soirées de dépravation chez Rock Hudson où règnent la drogue et l’alcool. Il nous parle aussi d’Harvey Milk, cet homme politique homosexuel, son ami, qui fut assassiné. L’arrivée du Sida est évoquée, frappant de plein fouet la communauté gay, les débuts de la trithérapie font l’objet de quelques passages de même que le mariage homosexuel. Enfin, l’auteur nous parle aussi de sa rencontre avec son compagnon Chris, le tout au travers de très belles pages nous rappelant les talents littéraires de l’auteur.
Son autre famille donc, c’est celle qu’il va rencontrer à San Francisco, c’est celle de la communauté homo qui va lui permettre de s’émanciper de son ancienne famille et surtout de ses anciens idéaux. Evidemment, le livre nous montre la difficulté qu’a eu l’auteur pour accepter son homosexualité, pour l’annoncer à sa famille et son entourage. Malgré cela, Armistead Maupin a toujours maintenu le lien avec ses parents qui, au-delà de l’incompréhension, ont fini par s’accommoder de la situation. Le livre d’ailleurs, se termine d’ailleurs par une bouleversante lettre adressée à sa mère en 1977.
Mon autre famille est donc au final, un livre drôle et doux dans lequel l’auteur nous parle de la famille qu’il a choisie sur la base de sentiments amicaux tout en la confrontant à sa famille naturelle. Mon autre famille s’apparente alors à un livre libérateur pour l’auteur, celui de sa libération du milieu traditionaliste dans lequel il est né qui lui permet alors d’assumer parfaitement son homosexualité. Enfin c’est aussi un livre pour lutter contre l’homophobie, qui se développe de plus en plus dans la société américaine, autour de son président, qu’Armistead Maupin n’oublie pas d’égratigner.
Armistead Maupin nous montre, au travers de sa vie, qu’il a dû se réinventer plusieurs fois pour pouvoir remettre en cause les idées qu’il avait recues en héritage. Sa vie est alors un roman, un superbe roman, ponctué d’un magnifique message d’espoir. |