Réalisé par Yann Gonzalez. France. Thriller. 1h42 (Sortie le 27 juin 2018). Avec Vanessa Paradis, Nicolas Maury, Kate Moran, Jonathan Genet, Khaled Alouach, Félix Maritaud, Noé Hernandez et Thibault Servière.
Ce qui frappe, ce sont d’abord les couleurs. Bleu. Rouge. Jaune. Des couleurs qui pètent, qui dessinent et habitent des mondes, qui disent des sentiments. Le rouge de la passion. Le bleu de la peur. Cette esthétique amène d’emblée le spectateur du côté du Dario Argento de "Suspiria", du côté des démons et des sorcières qui peuplent nos nuits.
Ce soir, le démon a un visage de cuir. Il regarde le jeune homme blond qui danse et qui ressemble à un ange. Il l’attire ; il le tue. Cette scène inaugurale, très inspirée du "Cruising" de William Friedkin, est d’une rare intensité. La musique de M83 se fait d’abord douce, onirique. On pourrait croire à un coup de foudre entre la Belle et la Bête. Mais on sent, souterrainement, l’irrésistible danger. Le montage parallèle, entre scènes de danse effrénées et approches amoureuses, accentue cette impression d’inéluctable explosion de violence.
Comme tout giallo qui se respecte, "Un couteau dans le cœur" joue avec la pulsion scopique du spectateur. On frémit d’angoisse et de plaisir devant les meurtres qu’on sait inévitables. Comme les maîtres du thriller italien, Yann Gonzalez sait faire monter en puissance les préliminaires aux meurtres, et offre une gamme particulièrement variée de sévices à l’arme blanche. Chaque crime est un morceau de bravoure, dont on retient aussi le saisissant travail sur le souffle du tueur, entre le chant d’amour animal et le sifflement d’une lame.
A l’aspect horrifique s’ajoute le mélodrame. Anne Pareze (Vanessa Paradis) est en train de perdre l’amour de sa vie, Loïs (Kate Moran). Anne est productrice de films pornographiques gays, ce sont ces acteurs qui sont touchés par le tueur sans visage. Ces événements inspirent Anne qui espère enfin tourner le chef d’œuvre qui lui rendra Loïs.
Lois est monteuse, comme le rappelle de manière amusante le cinéaste en la faisant se défendre contre le tueur armée d’une paire de ciseaux (hommage, également, au "Crime était presque parfait", d’Alfred Hitchcock). Un choix qui permet de rendre hommage à la pellicule utilisée dans les années 1970, cette pellicule qui était matière vivante et que Yann Gonzalez se plaît à convoquer et à manipuler, à travers l’image virée des films pornographiques ou d’une pellicule grattée.
On pense irrésistiblement à "Blow out" de Brian de Palma. Dans ce très beau film, un ingénieur du son, abonné aux films d’horreur de série B, se lance à l’aide d’une jeune femme dans une enquête. Yann Gonzalez s’inspire sans doute du langage parodique employé par de Palma pour imaginer les films d’horreur sur lesquels travaille son héros (souffle du tueur, caméra subjective). Mais il remplace l’horreur par le porno et imagine des spectacles kitsch à souhait, doubles malicieux de l’intrigue tragique qu’il met en place par ailleurs. Ces scènes, menées avec brio par l’inénarrable Nicolas Maury (déjà complice du cinéaste dans "Les Rencontres d’après minuit"), disent le goût de Gonzalez pour le bis, et sa tendresse pour ce genre.
Clin d’œil, aussi, au cinéma expérimental, en particulier à travers la figure de son contemporain, Bernard Mandico, auquel il confie le rôle du metteur en scène. Les séquences en noir et blanc, le climat onirique, le goût de la mythologie et du bizarre relient ces deux cinéastes. Yann Gonzalez emprunte également sa muse Elina Löwensohn au réalisateur des "Garçons sauvages". On pense beaucoup à Borowicz dans les séquences tournées dans la forêt de Chalandre, où l’animal et l’humain viennent à se mêler dans une curieuse métamorphose.
Toutefois, ce goût de la profusion, cette (sur)charge de citations en viennent peu à peu à alourdir le film. Il semble alors se prendre lui-même comme objet, ultra-référencé. Aussi "Un couteau dans le cœur" finit-il quelque peu par tourner à vide, malgré la puissance de fascination qu’il exerce. |