Après avoir, à plusieurs reprises, présenté des expositions consacrées au séjour parisien d'artistes étrangers, dont la dernière en date en 2018 "Les Hollandais à Paris 1789-1914", le Petit Palais propose de relater le séjour d'artistes français, et plus précisément des impressionnistes expatriés pendant la période troublée de la Guerre de 1870 et de l'insurrection de la Commune.
Car si certains se sont engagés dans les conflits, et d'aucuns comptent parmi leurs victimes, tel le jeune Frédéric Bazille, ou des communards condamnés à l'exil forcé, d'autres appliquent, pour des motifs personnels divers, le "sauve-qui-peut, courage fuyons !" en optant pour l'expatriation.
Guidés par un pragmatisme économique, ils privilégient l'Outre-Manche en choisissant la capitale britannique qui non seulement compte une communauté française installée depuis la vague d'émigration de 1852 mais également des "têtes de pont" installées la décennie suivante tels Alphonse Legros, ami de Whistler et professeur de gravure réputé enseignant à la South Kensington School of Art.
Et, de surcroît, des collectionneurs francophiles et un actif marché de l'art dans lequel va intervenir le marchand d'art parisien Paul Durand-Ruel, lui aussi ayant quitté la France, qui va devenir un agent de diffusion de la peinture française en organisant les expositions de la Society of French Artists.
Le commissariat constitué de Christophe Leribault et Isabelle Collet, respectivement directeur et conservatrice en chef au Petit Palais, et de Caroline Corbeau-Parsons, conservatrice à la Tate Modern de Londres, a étayé son propos en 140 oeuvres, peintures et sculptures, déployées dans un élégant parcours chronologique scénographié par l'Atelier Maciej Fiszer.
Un propos qui tient notamment au statut de Londres devenu motif artistique majeur dans l’art français et à la réciprocité des influences et, plus particulièrement, celle de l'art, et surtout du goût, anglais de l'époque victorienne
La diaspora impressionniste "outdoor" au fil de la Tamise
Introduite, après des toiles véristes sur les horreurs de la geurre, par une très réussie animation graphique réalisée d'après la toile "Marine, effet de nuit" de Claude Monet qui évoque la traversée houleuse de la Manche, l'exposition est scandée par une judicieuse et inédite promenade sonore intitulée "Les rendez-vous de Arthur et Dorothy" à visée didactique.
Dispensée par des bornes d'écoute vintage, celle-ci accompagne le visiteur en sept épisodes narrant les impressions et discussions de deux personnages anglais échangeant tant sur les débats artistiques du temps que sur des sujets de société.
Tout comme la table tactile sise dans la "cosy" galerie des "portraits croisés" qui permet l'accès à des informations tant sur les artistes, les sites correspondant aux toiles exposées que les lieux de sociabilité.
L'exposition permet de constater deux attitudes qui prévalent au sein de cette diaspora artistique. Certains privilégient l'aspect économique.
Ils procèdent donc par opportunisme mercantile à l'adéquation avec le goût victorien caractérisé par le néo-classicisme et la représentation idéalisée tant des paysages que des figures.
Ainsi le sculpteur Jean-Baptiste Carpeaux produit des oeuvres décoratives de commande. Le peintre James Tissot s'adonne à la modernité élégante avec le portrait de salon et des scènes de genre qui illustrent les loisirs urbains, fêtes et mondanités de la haute société et son homologue Giuseppe de Nittis adopte le style lisse académique en vigueur pour immortaliser des scènes de rue.
D'autres, telle la triade Pissarro, Monet et Sisley, trouvent dans les similitudes topographiques de la capitale londonienne avec Paris, toutes deux traversées par un fleuve, et la résonance, avec les tropismes impressionnistes, de la révolution industrielle qui engendre les grandes mutations du 19ème siècle, des raisons de poursuivre leurs expérimentations picturales. Ainsi, les nouvelles architectures portuaires, la modification du paysage avec l'implantation des usines, le développement des transports et la novation du mode de vie avec la vogue des loisirs de plein air constituent des motifs de prédilection. Pissarro affirme sa faveur pour la ruralité avec des paysages qui marquent la transition vers le monde moderne : des étables ("Hampton Court") et des usines ("Kew green") figurent en arrière plan des parties de cricket ou de croquet et la campagne traversée par un omnibus ("Saint Anne Church").
Sisley travaille le reflet sur l'eau, et les variations chromatiques, en se focalisant sur la Tamise, fleuve industrieux avec ses bateaux à vapeur et lieu de plaisance avec les régates. Quant à Monet, il découvre les œuvres de Constable et de Turner dont il étudie la technique pour ses expérimentations sur la lumière et le fameux “fog “anglais lui inspire la série des toiles sur le Parlement de Londres qui annonce la future série des cathédrales de Rouen.
Albert Derain clôt cette excellente monstration avec des toiles des années 1906-1907 ("Pont de Charing Cross", "Big Ben", "le Bassin de Londres") qui résulte d'un exercice de style en déclinant les motifs de Monet dans une explosion de couleurs saturées posées en aplat qui annonce le fauvisme. A ne pas rater quatre magnifiques opus de la série des Nocturnes de Whistler. Par ailleurs, le Petit Palais organise, en entrée libre dans la limite des places disponibles, deux concerts sur sle thème de l'impressionnisme musical le 31 août et 23 septembre 2018.
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