Série d'articles sur les albums No One Ever Really Dies de N.E.R.D. et Damn. de Kendrick Lamar. Episode 3.
Un jour, il faudra retrouver et remercier le batteur de la Mount Olive Baptist Church, l’église où sont allés Timbaland et Pharrell Williams dans leur enfance (non seulement faisaient-ils partie de la même congrégation, mais ils sont cousins.
Une habitante de ce quartier de Virginia Beach se souvient que, petit, Pharrell jouait de la batterie sur tout ce qu’il trouvait. Quand on sait cela, on comprend quelque chose de crucial sur la musique qu’il écrit depuis 1991 - l’époque où il partageait avec Timbaland et Magoo le groupe Surrounded by Idiots : Pharrell est avant tout un batteur.
Il y a des compositeurs mélodistes, dont on ne pourrait pas tirer l’essence des chansons sans un piano ou une guitare. Ce sont probablement les plus nombreux, et donc statistiquement les plus chiants. Il y a les bassistes, comme Michael Jackson (comme le montre entre autres cet enregistrement où il explique comment il procède pour écrire). Faites le test : réduites à leur plus simple expression, que sont "Billie Jean" (tum-tum-tum-tum-dumdumdumdum), "Beat it" (daa-dada da daa, twamp dada daa) et même "Thriller" (du-dum du du du dup) ? Des lignes de basse.
Et puis, il y a les compositeurs batteurs. Pharrell est leur maître à tous (et Timbaland est de la même trempe - merci, le batteur de la Mount Olive).
Les chansons de Pharrell, ontologiquement, sont des rythmes. Ça n’empêche évidemment pas de belles harmonies, comme "Lighting Fire Magic Prayer", l’un des sommets de No One Ever Really Dies. Mais leur substantifique moelle, le sillon ("groove", en anglais) que Pharrell creuse avec Chad Hugo depuis le premier album de N.E.R.D. en 2001, c’est le rythme.
Le Dieu de tous les compositeurs-batteurs est James Brown. Sa grande invention, c’est "The One" : l’importance du premier temps dans le décompte "one, two, three, four". Pharrell sait lui aussi qu’en insistant suffisamment sur l’ouverture de la mesure, l’entrée de la maison, il peut agencer le reste comme bon lui semble sans dénaturer la chanson : c’est du feng-shui musical.
L’une des leçons qu’il en tire est une idée géniale : sur No One Ever Really Dies, chacune des chansons (vraiment chacune d’entre elles) compte au moins un passage où le rythme est divisé ou multiplié par deux.
Rien de révolutionnaire en soi, bien sûr : le principe de nombre de morceaux hip-hop est de sampler un morceau de jazz rapide et d’y ajouter un rythme deux fois plus lent en jouant sur une ambiguïté irrésistible : le côté dansant, aérien des croches et le martèlement terrien du beat (deux exemples parmi tant d’autres : Mr Scruff qui sample Fats Waller, Soul Coughing qui sample Raymond Scott).
En revanche, le fait de créer tout un album avec ce système est nouveau, et rapproche Pharrell Williams de Raymond Queneau : non seulement No One Ever Really Dies est un album extraordinaire en soi, mais il relève de l’écriture sous contrainte, comme si Pharrell avait lui aussi, en parfait oulipien de la musique, besoin de contraintes pour accéder à plus de liberté.
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