"Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime
Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m'aime et me comprend.
Car elle me comprend, et mon cœur, transparent
Pour elle seule, hélas ! cesse d'être un problème
Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême,
Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.
Est-elle brune, blonde ou rousse ? - Je l'ignore.
Son nom ? Je me souviens qu'il est doux et sonore
Comme ceux des aimés que la Vie exila.
Son regard est pareil au regard des statues,
Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a
L'inflexion des voix chères qui se sont tues."
"
Mon rêve familier", Paul Verlaine.
Parfois, écouter un disque vous donne l’impression d’être comme en lévitation, de ne plus toucher le sol. On ferme les yeux et on voyage le cœur frémissant. L’intensité vous donne des palpitations. Et quand à cette intensité se mêle une fragilité alors on touche à quelque chose de précieux.
Josépha Mougenot, la jeune chanteuse qui se cache derrière Fantôme a choisi son pseudonyme à la perfection. Ici on flotte, de bonheur surtout. Il y a quelque chose d’impalpable et de naïf, beaucoup de sensibilité, de raffinement et de tendresse. Une sérénité se dégage de ce disque. Les notes virevoltent comme de fines particules dans l’air et les arpèges donnent une impression d’évanescence. Il y a du Satie, du Debussy. On pensera également à CocoRosie ou Claire Vailler. Une musique avec cette faculté à venir effleurer la sensibilité de chacun, cette grâce, ce don pour transmettre comme un trouble.
Mésopotamie est un disque comme hors du temps, foncièrement poétique, beau et mystérieux : ce chant en français et en anglais, ces parties vocales (avec cette façon de chanter sans vraiment porter la voix) et instrumentales jouées sur une harpe ou piano. Un disque avec sa part d’accidents, cette magie de la prise sur l’instant par Jérôme Suzat alias Cheval Blanc et pensée comme un document sonore, incontestable acte musical.
Enregistrer live est une véritable volonté pour la chanteuse, pour capter ce côté direct. Chez Josépha Mougenot, la musique apparaît : "dans un état de rêverie alors que mon esprit se met à divaguer. Comme un fruit ou une fleur en train de pousser". Elle se sent artisan, comme une tailleuse de pierre partant à la découverte d’une forme dans un bloc de marbre, travaillant les sons et les mots, trouvant son bonheur : "dans l’ascétisme de l’atelier, avec régularité, tôt le matin, un thé, le calme du monde, prendre soin de ses gammes, de ses instruments".
Et puis il y a ces jeux de timbres de cordes vocales, d’une harpe ou d’un piano. "Pour Mésopotamie, tout est venue d’une promenade, d’une sorte de songe. J’avais écouté plusieurs heures durant le solo de Sclavis dans "Annobon" dans Carnet de routes. Je suis sortie me promener seule au bord de la Seille, j’avais encore les oreilles ensorcelées par "Annobon" et là, devant la rivière, je pensais à ces grandes statues de pierres mésopotamiennes, à Zoroastre, à Ishtar. Là une phrase m’est apparue : "Zoroastre endormi au bord de l’eau" qui sont les paroles d’Euphrate. C’est ainsi que Mésopotamie est née. Avec l’envie de réunir des morceaux issus de ce songe comme un recueil. La peinture, farfouiller des partitions de Satie, les titres de Messiaen, Breton, Issou, Éluard, le surréalisme, Odilon Redon, Pessoa, Lewis Carroll, le cinéma d’Ozu sont des inspirations du quotidien. Et puis parce qu’en tant que citoyenne j’ai beaucoup pensé à cette région du monde et aux conflits actuels. Il me semble important pour la reconstruction de ré-enchanter cette région du monde. Cela passe par l’imaginaire, du moins, je l’espère".
On imagine la jeune femme avec un visage comme une voile d'un blanc si pur et pâle. L’équilibre sur lequel repose ce disque est rien moins que miraculeux. "Je n'ai pas compris et j'en fus impressionné. Je suis toujours impressionné par l'incompréhensible, car cela cache peut-être quelque chose qui nous est favorable. C'est rationnel chez moi." Romain Gary. Presque un rêve. Non, plus qu’un rêve, un disque superbe. |