Spectacle conçu et mis en scène par Simon Delattre d'après le roman éponyme de Romain Gary, avec Nicolas Goussef, Maia Le Fourn et Tigran Mekhitarian.
C'est toujours un plaisir de retrouver Madame Rosa et Momo, le couple de "La Vie devant soi". Au-delà de l'anecdote Ajar-Gary, une des mystifications les plus réussies de l'histoire littéraire et qui fit de Romain Gary le seul écrivain affublé de deux "Prix Goncourt", le roman d'Emile Ajar est entré dans le cercle fermé des "classiques modernes". Il est donc très difficile de vouloir en faire une nouvelle version et d'y apporter son éclairage.
Spécialiste de la marionnette, Simon Delattre était ainsi attendu au tournant puisqu'il a conçu un projet hybride où se mêlent acteurs et marionnettes. S'il a mis l'accent particulièrement sur Momo (Tigran Mekhitarian), le petit arabe que Madame Rosa (Maïa Le Fourn) aime comme un fils et qui fait du Céline sans le savoir, on peut dire qu'il respecte le texte de Romain Gary et le contexte de son roman.
Les scénographes Tiphaine Monroty et Morgane Bullet ont conçu un "appartement-cage" dans lequel vit Madame Rosa. Elle y accède par un escalier aux marches aléatoires.
Cette double structure occupe le milieu de la scène, le reste étant presque vide sauf derrière l'escalier où repose la marionnette de Monsieur Hamil (Nicolas Gousseff) et au premier plan le micro et la guitare électrique où officie la chanteuse Nabila Mekkid du groupe Nina Blue. La présence de celle-ci est finalement le seul apport nouveau de cette version. Elle ponctue les saynètes de sa voix joplinienne, habillée comme pouvait l'être Madame Rosa "quand elle défendait son cul" selon les mots de Momo.
On peut lire dans ce personnage supplémentaire le choix de l'adaptateur Yann Richard pour le "grotesque" plutôt que pour l'humain et l'émotion. Pour jouer Madame Rosa, Maïa Le Fourn est engoncée dans une structure en mousse avec d'énormes jambes et un tronc digne de Falstaff. Cela ne facilite pas les échanges avec Momo, qui lui, est le seul personnage "normal".
Tigran Mekhitarian est très convaincant avec un côté Jamel Debbouze assez assumé. Il est le centre d'un monde où les autres sont des marionnettes (le docteur, Monsieur Hamil) ou des caricatures (Madame Rosa, la chanteuse). Il fait passer l'essentiel du propos même si on aurait aimé des rapports plus forts avec Madame Rosa, rapports rendus difficiles par le choix de la rendre "difforme".
C'est dommage car Maïa Le Fourn est parfaite dans ce qu'on lui donne à faire. Sans doute Simon Delattre a-t-il eu peur du "pathos" et du "mélo", s'il restait sur la ligne de crête du réalisme. Et pourtant, "La Vie devant soi" est un hymne à l'amour caché derrière une farce exubérante dans laquelle il faut que les larmes finissent par couler. |