50 ans après l'ouvrage "Les Européens" d'Henri Cartier-Bresson consacré à l'Europe, la mythique coopérative de photo-reportage Magnum Photos créée en 1947 par ce dernier, Robert Capa, George Rodger et David Seymour, a donné carte blanche à 10 de ses membres pour rapporter leur vision des 10 pays qui ont rejoint l'Union Européenne en 2005.
L'intérêt majeur de ces Euro Visions réside davantage dans les constats et interrogations qu'elles infèrent sur
l'état de la photographie documentaire que dans l'exposition photographique stricto sensu.
Qu'ils pensent que montrer la banalité, la ressemblance avec le pays voisin fasse partie de leur travail comme Martin Parr
Qu'ils s‘interrogent sur leur photos comme Alex Majoli qui a rapporté de Lettonie de sublimes portraits en clair-obscur et des paysages lunaires
Qu'ils soient lucides comme Donovan Wylie, adepte du style répétitif, qui a choisi l'Estonie parce que pays similaire au sien, qui photographie les passants comme un défile de mode parce que "la plupart du temps nous créons ce que nous voulons voir" Qu'ils veulent faire un relevé topographique traditionnel comme Mark Power en Pologne avec le bois de bouleaux ou le portrait d'enfants chétifs au regard fiévreux
Qu'ils portent un regard clinique comme les murs couverts de photos puzzles de lieux vides avec pour seule présence humaine celle de militaires de Peter Marlow qui se dit s'être senti gêné d'être britannique à Chypre Qu'ils appliquent un scénario prédéfini et immuable comme Lise Sarfati ("quand je photographie je ne pense pas en termes de portraits mais plutôt à une sorte de construction") qui expose des portraits très statiques d'adolescents lituaniens au regard vide
Qu'ils aiment "manipuler l'histoire ou perturber la représentation" comme Carl de Keyzer pour qui Malte n'est que le pays du tourisme
Qu'ils aient pris 4 000 clichés comme Chris Steele-Perkins en Slovaquie parce que la réalité a de multiples facettes
Qu'ils recherchent les vestiges des périodes passées comme Patrick Zachmann qui dit "J'avais mon propre regard sur la Hongrie et je voulais croiser mon regard avec le sien"
Qu'ils ne suivent pas vraiment le thème comme Martine Franck qui veut montrer l'évolution d'un pays, la République tchèque à travers 3 générations de femmes
Tous témoignent dune confusion des genres bien éloignée du concept d'instant décisif inventé par Cartier-Bresson.
Ce ne sont plus des photographes documentaires, des témoignages qui tendent vers l'objectivité mais des photographes qui scénographient leurs photos et qui empruntent à l'art.
A cet égard, il est intéressant de mettre cette exposition en contrepoint avec celle organisée actuellement par la Bibliothèque Nationale "Territoires et vies" autour des photographies de Sebastio Salgado qui a également travaillé pour Magnum.
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