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Eric Von Stroheim  1921

Réalisé par Erich Von Stroheim. Etats Unis. Drame. 1h57 (Sortie 1921). Avec Maude George, Mae Busch, Rudolph Christians, Miss Dupont, Dale Fuller, Erich Von Stroheim, Nigel de Brulier et Harrison Ford.

Un ciné-concert est toujours une surprise pour le spectateur, et un exercice périlleux pour le musicien, dans la mesure où il faut savoir accompagner sans sans se faire trop remarquer, souligner sans devenir redondant, inventer sans trahir le rythme de l’œuvre.

Le pari de la Cinémathèque française, qui a ouvert le cycle Erich Von Stroheim avec le groupe Sheep Got Waxed en accompagnement de "Foolish Wives (Folies de Femmes)", était plutôt risqué. On ne peut que se réjouir de la volonté de ne pas se cantonner à une orchestration d'un classicisme mou, si attendue qu'elle devient inaudible.

La modernité de Stroheim est si évidente (lui-même, avec lucidité, se voyait comme ayant avec vingt ans d'avance sur le monde du cinéma) que la tentation est grande de lui accoler des musiques expérimentales, de proposer des sons inédits. Le défi a été relevé en termes de modernité, mais n'était pas aussi réussi qu'on aurait pu l'espérer.

La musique ne ménageait guère de respiration, et avait tendance à prendre le pas sur l'image, qui devenait, par instants, un simple support illustratif. Les nappes sonores ont parfois gommé les spécificités du montage, la violence du film. Mais les œuvres de Stroheim, qui ont fait face aux producteurs, aux censeurs, à un public ingrat, ont résisté à bien pire.

Stroheim est une légende. Légende pour les chroniqueurs de Hollywood, pour qui les prétendues frasques de Stroheim, ses manières militaires sur le plateau, son sadisme, son fétichisme, ont été du pain béni. Kenneth Anger*, grand potineur devant l'éternel, rapporte les bruits qui couraient sur les prodigieuses orgies qui se déroulaient dans les plateaux fermés au public, où prostituées et libertins se retrouvaient.

Ça n'aurait été que dépenses folles, que caviar, champagne, fête et débauche. Légende pour les cinéastes et les cinéphiles, ébaubis devant l'ambition créatrice d'un homme qui recréait des univers entiers pour mieux en dénoncer la vacuité. Il avait peu de pitié, peu de tendresse, mais ne manquait certainement pas de génie. Un génie qui a été servi, un court moment, par Hollywood, avant d'être rejeté par elle.

Pendant un temps, les producteurs de Stroheim ont joué sur la folie dépensière de cet homme qu'on aime haïr. Avant de s'effaroucher devant le résultat de ses visions, de censurer, de couper... "Foolish Wives" a fait les frais du puritanisme ambiant. Prévu au départ comme un diptyque de six heures, le film est remonté, découpé, jusqu'à être réduit à deux heures. Heureusement, le sens de la démesure de Stroheim continue à percer dans cette œuvre qui, sans atteindre l'intensité de "Greed", demeure puissante.

Nous voici donc à Monte-Carlo, peu de temps après la Grande Guerre. L'Europe a été au bord du gouffre, mais les massacres de 14 semblent bien éloignés des préoccupations de ces hommes et de ces femmes élégants, foule avide d'excitations et de divertissements en tous genres.

Au bras d'hommes en tenue de soirée, enroulées dans leur fourrure, les femmes parcourent à petits pas vifs les mètres qui les séparent du Casino. C'est une débauche de lumière : sur la noirceur du ciel, le bâtiment, recouvert d'ampoules, se détache comme un nouveau temple dédié au plaisir. Indolente, cette même foule, en robes claires et pardessus, se retrouve dans les jardins des hôtels de luxe, où les amours se font et se défont.

Le Comte Karamzin (Erich Von Stroheim) a repéré sa proie. C'est une jeune femme, bien mise, une Américaine, mariée à un milliardaire, qui s'aventure dans ce pays du lucre tout en pensant ne pas gâter son impériale pureté. Et pourtant, sous le regard insistant de cet officier russe, tout de blanc vêtu, elle laisse deviner ses mollets dans un geste furtif.

Karamzin sait alors que la partie est gagnée : il sait que les Américaines, délaissées par leurs maris satisfaits, sont promptes à se jeter dans les bras de la vieille Europe, si bien élevée, si distinguée, loin des cohues du nouveau monde. Ce personnage d'Européen était l'une des marques de fabrique de Stroheim ; mais on aurait tort d'y voir un éloge naïf de la Mittleuropa de la Belle Epoque. Car sous le costume serré, sous les dehors avenants, le cœur est toujours aussi noir, et le vice, les passions, sourdent.

Karamzin n'est pas russe, et les deux (fausses) blondes qui l'accompagnent ne sont pas ses cousines. Le prétendu compte est un faussaire, acoquiné avec un Italien, expert dans l'art de la contrefaçon. Le beau soldat promène son uniforme blanc dans les rues crasseuses où les taudis s'entassent, où la puanteur des égouts fait froncer le nez aux enfants.

Un peu plus tard, Stroheim fait revêtir à la belle Mrs Hughes les vêtements de la vieille femme édentée qui les recueille, le comte et elle, après une promenade interrompue par la pluie. Le cinéaste saisit alors par son art du contraste, et ce qu'il dit sur les hommes et la société. Sur le vice et la vertu.

Si le rythme se fait parfois un peu languissant - combien on regrette, alors, que Stroheim n'ait pas pu mener à bien son projet comme il l'entendait - le film ménage des moments de beauté incomparables : en témoigne la scène des barques, chacune illuminée, qui amènent les joueurs vers le Casino dans la nuit. Les lumières se reflètent sur l'eau, tandis que glissent doucement les esquifs.

A cette scène fait écho une traversée bien plus mouvementée, celle que Karamzin et Mrs Hughes font sous une pluie diluvienne. La barque prend peu à peu l'eau, le vent bat les flots, Mrs Hughes est un poids mort qu'il faut arracher à la rivière.

L'autre déchaînement est celui de l'incendie qui ravage la riche demeure de Karamzin, coincé sur le balcon de sa chambre avec la désormais compromise Américaine. Tout s'emballe, la foule qui court, les pompiers qui tendent un drap, les deux amants qui paniquent...

Jusqu'à leur chute spectaculaire, qui marque le début de la fin pour Karamzin, qui n'aura de cesse, à partir de ce moment, de déchoir, physiquement et symboliquement, pour finir sous la moins aimable des formes.

La morale est-elle sauve ? A la fin du film, Mrs Hughes est bien guérie de sa fascination pour la vieille Europe. Emue par l'héroïsme d'un soldat américain, qui a perdu ses bras dans les combats, renvoyée au lit conjugale auprès d'un mari bien content qu'elle ait compris la leçon, la jeune femme en a-t-elle fini avec les aventures ? A voir son agacement devant la satisfaction de son mari, on jurerait bien que non. v Une image, surtout, reste du film. La bonne de Karamzin, sans doute dans une situation délicate, se croit aimée par lui. Elle le laisse même la dépouiller de ses économies, croyant en toute bonne foi venir au secours de son indélicat amant.

Et puis, elle comprend qu'elle a été dupée. Elle se réfugie dans sa chambre, dont l'austérité contraste avec le luxe de la demeure.

Assise sur le lit, le menton appuyé contre les barreaux, elle regarde le vide, ses yeux agrandis par l'horreur de la trahison. La caméra amorce alors un travelling avant pour filmer, en plan très rapproché, ce visage de femme bafouée. Des larmes coulent de ses yeux, elle mord ses mains crispée, comme si elle voulait arracher d'elle son malheur.

Et, à mesure que la caméra avance, on voit progressivement cette femme basculer. Peut-être est-ce justement parce que la caméra avance, et accentue la construction un peu décentrée de l'image que nous percevons le cheminement de la folie. Une image hallucinée, qui s'imprime dans la rétine.

 
*cf Kenneth Anger, "Babylone Hollywood", Editions Tristram, 2013, pp131-134

Anne Sivan         
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