Réalisé par François Truffaut. France. Comédie. 1h55 (Sortie le 24 mai 1973). Avec Jacqueline Bisset, Jean-Pierre Aumont, Valentina Cortese, Jean-Pierre Léaud, François Truffaut. Jean-Pierre Aumont, Dani, Alexandra Stewart, Valentina Cortes, Nathalie Bayen, Jean Champion et Bernard Menez.
On imagine la joie de François Truffaut à tourner dans les Studios de la Victorine, à Nice, ville native de Jean Vigo, l’un de ses cinéastes préférés. Ces Studios, dont on célèbre cette année les cent ans, sont au cœur de "La Nuit américaine". On y travaille, on s’y engueule, on s’y aime. Bref, le cinéma règne.
C’est une réplique que connaissent tous les cinéphiles, une profession de foi et une déclaration d’amour : "Les films sont plus harmonieux que la vie. Il n'y a pas d'embouteillages dans les films, pas de temps mort. Les films avancent comme des trains, tu comprends, comme des trains dans la nuit. Des gens comme toi, comme moi, tu le sais bien, on est fait pour être heureux dans le travail, dans notre travail de cinéma".
Ferrand, le réalisateur de "Je vous présente Pamela", essaie de réconforter Alphonse, en proie à un chagrin d’amour. Ferrand, c’est Truffaut lui-même, devant et derrière la caméra ; Alphonse est Jean-Pierre Léaud - qui d’autre ? -, éternel double, enfant, frère du cinéaste.
Mais si les films donnent cette impression de beauté, d’évidence, s’ils réconfortent le spectateur en lui donnant à voir le monde contenu sur quelques kilomètres de pellicule, il n’en va pas de même pour les tournages.
Celui de "Je vous présente Pamela" n’a rien d’un confortable voyage en train. C’est plutôt, comme le dit son auteur, un voyage en diligence au temps du Far West : on part en espérant faire bonne route et on en vient finalement à espérer qu’on arrivera à bon port. "La Nuit américaine" est l’histoire de ce voyage.
Sont donc montés, à bord de la diligence : un vieux beau (Jean-Pierre Aumont), un jeune premier romantique (Jean-Pierre Léaud) et sa fiancée (Dani), une actrice anglaise (Jacqueline Bisset), un accessoiriste malchanceux (Bernard Menez), une assistante déterminée (Nathalie Baye), une actrice italienne sur le déclin (Valentina Cortese), un producteur zélé (Jean Champion)…
Et en meneur de diligence, un réalisateur "sourdingue", qui contourne comme il peut les obstacles que le sort - ou les gens - semble se faire un malin plaisir de mettre sur sa route. Une traversée du studio relève d’abord du parcours d’obstacle : chacun l’intercepte, y va de sa question. Tout le monde a quelque chose à lui montrer, à lui demander, et lui n’a que rarement les réponses.
Bien sûr, le réel n’est pas uniquement un obstacle. Il est surtout une source d’inspiration, et le cinéaste est celui qui puise, dans l’expérience même du tournage, les éléments qui viendront irriguer son film.
Un vase, glané dans un couloir de l’hôtel, devient un accessoire pour un décor ; le chat acteur, trop "mauvais" pour réussir le plan, est remplacé à la patte levée par le chat de la concierge, une phrase, dite sur le coup du désespoir par une actrice, devient une réplique de film. Le cinéaste, nous montre Truffaut, est celui qui grappille, qui utilise tout ce que lui donne l’équipe. Si bien que oui, forcément, on ne sait plus très bien où sont les limites entre vie intime et travail.
Cet entrelacement est renforcé par un jeu de mise en abyme. Truffaut multiplie, de manière amusée, les références. Comme toujours chez les cinéastes de la Nouvelle vague, on rend hommage : un poster de Cocteau, des photographies de "Citizen Kane", des livres sur Bresson, Dreyer, Bergman ou Visconti, filmés en gros plan sur la musique de Georges Delerue…
Mais les références, Truffaut les fait surtout à son propre cinéma. Au détour d’un cauchemar, le cinéaste tourne une variante des "400 coups" ; le début de "Je vous présente Pamela" s’inspire des "Deux Anglaises et le continent" ; Alphonse pense tourner un film avec une Japonaise, reconstruisant ainsi l’un des couples de "Domicile conjugal". Quant à la scène de meurtre dans la neige, elle cite la fin de "Tirez sur le pianiste…" D’ailleurs, en 1979, Truffaut utilisera des séquences de "La Nuit américaine" pour "L’Amour en fuite", substituant à Alphonse Antoine Doinel.
On pense beaucoup à Jean Renoir, que le personnage de Nathalie Baye cite avec humour ("Comme dirait le vieux cuisinier de "La Règle du jeu", je tolère les régimes, mais pas les manies"). Comme le "patron", Truffaut sait se faire croiser des personnages dans un même espace, construisant et déconstruisant des saynètes et des mini-drames grâce à la profondeur de champ. Dans ce grand hôtel où chacun se poursuit, comme dans "La Règle du jeu" ou "Elena et les hommes", on toque aux portes à toute heure, on sait qui a découché, on s’embrasse dans un coin de jardin.
Dans ce petit théâtre d’un tournage, on retrouve également une tendresse toute renoirienne pour les personnages et leurs faiblesses, leurs grandeurs et leurs misères. Il y a cette actrice saoule qui ne parvient pas à se rappeler de son texte, et qui sans cesse se trompe de porte, grand moment de comique, d’émotion aussi. Il y a Julie, qui réclame du beurre en motte après une dispute avec son mari, ou Alphonse, qu’on retrouve dans un circuit de petites voitures, pareil à un enfant (référence aussi à Antoine Doinel dans "Domicile conjugal", il travaille avec des maquettes de bateau).
On s’aime et on se sépare, déplore Valentina Cortese. Refrain des films de Truffaut, mais qui ne laisse ici aucune amertume. Simplement le souvenir d’un moment de vie intense, d’une immersion dans un monde où l’on règle la hauteur d’un faux feu de pan, où un pan de mur est une maison, où l’on nous fait prendre le jour pour la nuit. |