"Dans la tourmente et le grand désordre humain de la Seconde Guerre mondiale, des millions d’enfants, de femmes et d’hommes ont péri dans les camps de la mort, tués par la barbarie de l’homme (...) Nous avons choisi, avec cet enregistrement, de rendre hommage à la musique de ces "trois frères de l’orage", pleine de sensualité, de couleurs et de vie". Quatuor Béla
Voilà un programme lourd de sens. Car ce qui rassemble ses "trois frères", c’est l’horreur nazie. Erwin Schulhoff, Pavel Haas et Hans Krása sont tous les trois des compositeurs tchèques, tous les trois étaient tournés vers la modernité et l’avant-gardisme de l’entre-deux-guerres, tous les trois auraient pu figurer au panthéon de l’histoire de la musique, tous les trois ont vu leur musique à partir de 1938 considérée comme "dégénérée" et tous les trois sont morts dans des camps.
Le quatuor à cordes n°1 (1924) de Schulhoff avec un style entre modernité et tradition est plein de vie, d’audace et de fantaisie. Les notes jaillissent, mais derrière la joie et la danse, les rythmes qui prédominent se cache une "sensualité subconsciente", une dramaturgie hallucinatoire (second et troisième mouvement), le surréalisme. Les lumières s’estompent et l’atmosphère s’alourdit dans la dernier mouvement.
Dans le quatuor à cordes n°2 de Pavel Haas (1925) aux accents presque champêtres, on retrouve les influences de Janacek (avec un programme extra-musical), de Stravinsky, de Schoenberg et du jazz du compositeur, cet expressionisme flamboyant.
Le "Thème et Variations 1 à 6" de Hans Krása (1936) éclate de virtuosité et fait se rencontrer Liszt, Ravel, Stravinsky, Mendelssohn et Schoenberg.
Comment ne pas être pris à la gorge par ce programme ?
L’interprétation du Quatuor Béla est limpide, pleine de couleurs, de jeux de timbres (évident dans le Schulhoff), de dynamiques et montre une réelle virtuosité, un lyrisme saisissant, tranchant, une densité, une incroyable incarnation qui dépasse largement le stade de l’émotion. Un disque superbe. |