Comédie dramatique de Jean-Noël Jeanneney, mise en scène de Jean-Claude Idée, avec Christophe Barbier, Emmanuel Dechartre et Simon Willame.
Dans un salon dont la fenêtre donne sur un camp de concentration, devisent deux prisonniers politiques livrés aux Nazis par leurs compatriotes collaborationnistes, deux hommes de la même génération que presque tout oppose : leur tempérament, leur figure tutélaire, leurs convictions politiques et leur conception de l'action politique.
Léon Blum, homme de gauche, non la gauche "rouge" mais la gauche socialiste dans le sillage de son "dieu" Jean Jaurès, humaniste qui a foi en la bonté de l'homme, toujours en proie au doute et qui préfère le regret au remords, et Georges Mandel, homme de droite, non la droite "blanche" mais la droite républicaine, fidèle à son mentor Georges Clémenceau, orgueilleux et radical qui pense que l'action immédiate doit précéder la réflexion et croit au Mal incarné dans l'homme.
Leurs points communs : l'exercice de responsabilités ministérielles sous la IIIème République et donc leur connaissance des arcanes de la politique politicienne, leur attachement à la grandeur de la France, leur opposition farouche au nazisme, et à toute forme de totalitarisme, et leur judaïté.
Ce qui correspond à la situation théâtrale par essence qu'est la confrontation entre deux personnages qui a inspiré à Jean-Noël Jeanneney, le remarquable opus "L'un de nous deux" ressortant au théâtre de conversation qu'il qualifie de "dialogue en trois actes" et se déploie selon la facture classique de la tragédie en retraçant, à partir d'un fait historique réel, les imaginaires conversations animées entre Léon Blum et Georges Mandel, otage d'Etat depuis 1943 détenus dans un pavillon proche du camp de Buchenwald.
Un opus d'autant plus remarquable et passionnant que Jean-Noël Jeanneney agrégé d'histoire, spécialiste de l'histoire contemporaine et ayant occupé à plusieurs reprises un secrétariat d'Etat, ne cède ni à la pédanterie d'auteur ni au manichéisme réducteur et simplificateur du débat gauche/droite et ne se pose pas en donneur de leçon de démocratie.
En effet, avec une écriture peaufinée qui, en outre, bénéficie du sens de la formule propre à solliciter l'attention de l'auditoire, il ouvre le champ de la réflexion à travers les échanges des protagonistes qu'il indique ne pas concevoir comme "un concours pour un catéchisme républicain" et leurs échanges qui naviguent entre gravité et émotion, en sus, quelques inserts de comédie.
Ainsi, il positionne la situation en juin 1944, dans la journée qui précède l'évènement qui va faire tomber l'épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête des deux captifs, l'assassinat de Philippe Henriot, le secrétaire d'État à l'Information et à la Propagande du gouvernement de Vichy, qui leur est annoncé par le jeune soldat allemand affecté à leur surveillance (Simon Willame).
Jean-Claude Idée, qui signe également l'adéquate scénographie avec un décor à réalité augmentée, met en scène, et sans dommage, une version resserrée de l'oeuve originale dont il a judicieusement confié l'interprétation à deux comédiens qui s'avèrent exceptionnels. L'un de longue date, Emmanuel Dechartre qui incarne avec l'éloquence sensible les atermoiements philosophiques et existentiels de Léon Blum, surnommé "le sage de Jouy", l'autre, le journaliste politologue qui a pris goût à la scène Christophe Barbier qui assure, avec efficacité et crédibilité les ardeurs jacobines de Georges Mandel. Une belle réussite pour ce pas de deux totalement maîtrisé qui appelle au discernement pour la chose politique.
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