L'extase du selfie et autres gestes qui nous disent
Philippe Delerm
(Editions Seuil) septembre 2019
Est-ce qu’il faut encore le présenter ? Nom : Delerm. Prénom : Philippe. Petit poète nonchalant qui ne paie pas de mine, détenteur d’une capacité hors du commun à décrire des petits bonheurs et à lire entre les lignes des habitudes et de nos petites manies à tous.
L’ordinaire, il en a fait son plat principal où le dialecte gaulois oscille entre diatribe et fantaisie. Après avoir patiemment décortiqué les petites phrases anodines (mais pas tant que ça), les petites madeleines (et les grosses), les instants suspendus (et les détachés), il s’attèle aux gestes dans L’extase du selfie et autres gestes qui nous disent.
Des gestes qui rappellent les disparus, réveillant une perplexité enfantine à regarder ses aïeules tordre une étamine extraire le jus des groseilles, la contemplation de la double page d’un vinyle comme on regarde par la fenêtre d’un autre monde, le bercement d’un tout petit bébé contre soi "d’une maladroite polka qui ne bougerait pas", laisser sa signature de deux petits souffles dans l’air polaire, tenir le verre à la main, sans le boire, consoler d’un geste "c’est tellement mieux que de parler, ce n’est plus tout à fait se taire", plier les draps "c’est de la danse, et davantage", faire les carreaux, épique combat contre les dégoulinures, les bras levés au soleil.
Ce que fait Philippe Delerm, c’est nous réconcilier avec les habitudes, il éclaire la morosité avec une plume étoilée, comme une loupiote tremblote vaillamment dans un conduit mal éclairé. L’écriture est bienveillante, sans jugement pour ces gestes que nous aurions l’impudence de trouver ridicules et que l’auteur déroule avec tendresse comme un père regarde ses enfants jouer aux billes sur les dalles de la terrasse.
Les textes sont courts, l’écriture y est légère et fluide, les chapitres se succèdent comme un gracieux ballet aquatique, débarrassé des contraintes de l’apesanteur, les instants de lecture envolent l’esprit vers une autre vision des gestes-qui-nous-disent. Toutes ces parenthèses délicates qui forgent nos quotidiens sont les pavés de la destination, la petite monnaie des petits bonheurs sont des petits bouts de lingot après tout. Alors pourquoi s’en priver ?
L’extase du selfie émeut par la fragilité qu’il dégage, une humanité sereine et optimiste réside dans les propos de l’auteur, ce galant homme à la plume singulière. A consommer sans modération.
De la musique, des spectacles, des livres. Aucune raison de s'ennuyer cette semaine encore. Ajoutons à cela nos chaines Youtube et Twitch et la semaine sera bien remplie.