Le Pygmalion et ses apôtres.
Une soirée Tricatel reste un événement aussi rare qu'un bon titre à la radio. Et contre toute attente l'Elysée Montmartre se remplit peu à peu. On y croise des stars (Valérie Lemercier, Jarvis Cocker), des rocks-critics (Philippe Manœuvre, forcément) et des gens du quotidien. Des humains harassés par le métro et le froid, trouvant le courage de venir soutenir un label pertinent et décalé. Donc forcément borderline à l'encolure financière.
Et pourtant, Tricatel n'est toujours pas à vendre. On résiste on s'accroche on survit.
Bertrand Burgalat. Un océan de frustration tant le compositeur/producteur/poète/directeur de label peine à prendre son envol sur la scène franco-française. Le génie étant souvent synonyme de mépris et d'indifférence, on comprend hélas mieux le silence. Silence sur la parution d'un album fin et doré, Portrait Robot (Juin 2005) et discrétion des ventes sous le manteau.
Peu importe les pertes, BB a ce soir fier allure, dans son costume de dandy. On s'attend à un show intimiste, et l'on découvre un vrai groupe pour le moins original, constitué d'un violoniste underage sans doute échappé de la chorale de la Jonquière, d'un saxo mené par le batteur des aussi jeunes Second Sex, d'un batteur démoniaque et d'un guitariste poppy aux rythmiques stoniennes.
On se dit à l'écoute de "Demolition Derby" que le groupe joue serré, emmené par un batteur possédé, survivant de l'époque Soft Machine sans doute. La voix plus filtrée qu'une partie vocale des Daft, Bertrand touche par sa fragilité, ses hésitations et sa timidité.
"Ceci est notre premier concert ensemble" confie le trentenaire corse à la foule. Pourvu que ce concert dure encore et encore…
BB déroule sur "Spring isn't fair" et "Noël sur Ordonnance", deux chansons en poèmes qui touchent en plein cœur. On remarque ça et là des têtes qui dodelinent face aux berceuses acidulées, et l'on se prête au jeu.
Rejoint par Fred Jimenez (ancien bassiste de AS ayant rejoint depuis Murat), la machine s'emballe, vire boogie à l'arrivée d'un autre batteur au clavier, Hervé Bouettard de AS Dragon.
Inébranlable sur son manche de basse, Burgalat assure sur "Aux cyclades électroniques".
Un hymne instrumental rappelant un autre génie oublié, Polnareff. Sonorités vintage de rigueur, les synthés, eux, évoquent les débuts rêveurs de King Crimson. Le concert touche à sa fin, une reprise des High Llamas pour finir. Burgalat qui oublie les paroles, s'en va dans l'ombre. Encore une fois. AS Dragon. Inutile de présenter l'un des groupes phares de Tricatel, parti voila six mois pour un never ending tour commencé à la sortie de Va chercher la police, deuxième album de rage contenue.
Soyons sincère. L'ensemble du public, essentiellement masculin sur les quatre premiers rangs, se demande à quel moment il verra la poitrine de Natasha. Et c'est un peu dommage. Tant les AS seraient susceptibles d'offrir autre chose qu'un regard testostéroné porté sur des seins à demi couverts par une veste.
N'empêche. Que serait AS Dragon sans sa chanteuse ? Pris sur le bord de route en autostop, Natasha conduit aujourd'hui son groupe comme un petit bolide intrépide. De "Corine" à "Comme je suis", AS montre sa maîtrise, la folie de sa chanteuse.
Michael Garcon aux claviers, reste le chef d'orchestre imperturbable de la mécanique du Dragon.
Ceci n'est pas une chanson des Stooges prévient Natasha à l'intro de "I wanna be your doll". Tellement androgyne, tellement proche de Iggy période Raw Power...
L'envie reste là, les émotions tardent à venir, et si les titres s'enchaînent comme des poupées russes, la sauce semble ne pas prendre dans la salle. Des fans qui transpirent, deux trois malaises par ci par là, mais l'euphorie du concert de la Maroquinerie voila un et demie semble loin.
Les concerts qui passent, le froid hivernal, la fin d'année, le sapin qui cherche ses boules…
Autant d'excellentes raisons laissant quelques regrets dans la prestation du Dragon.
Et pourtant, pour ceux qui étaient là à la fin du concert, le deuxième rappel ne sera pas sans quelques surprises.
Lors de ce rappel qui ne devait durer au dire de Natasha qu'une dizaine de minutes, cette dernière s'est littéralement déchaînée.
Elle a commencé par aider un spectateur à monter sur scène, s'est jeté sur lui et a tenté de lui déchirer sans succès son T-shirt, puis lui a ordonné de retirer son pantalon et son T-shirt et a sorti un martinet afin de lui flageller le dos.
Elle a réitéré avec un second spectateur… puis avec le batteur qui était torse nu. Elle s'est précipité derrière lui pour lui infliger les mêmes sévices alors qu'il était en train de jouer, ce qui a eu pour conséquence de faire sérieusement accélérer le rythme du morceau…
Au final la prolongation a dû duré une bonne demi-heure, et pendant toute cette période rien n'arrêtait la furieuse qui sautait dans tous les sens, retournait de temps en temps dans le dos du batteur… faisait quelques tentatives avec les autres membres du groupe (seul le bassiste en est sorti indemne !).
Tout cela à totalement électrisé le public qui s'est manifesté bruyamment en scandant son prénom !
Lors des salutations, le batteur a présenté au public un dos bien zébré… et pour se venger s'est emparé du martinet et a attrapé la belle ..
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