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Interview  (Paris)  19 décembre 2005

Au Grand Palais, se tient jusqu'au 16 janvier 2006, la superbe exposition Mélancolie "Génie et folie en Occident" qui connaît un très grand succès. A l'origine de cette exposition, Jean Clair, historien d'art, ex-conservateur du musée Picasso, commissaire d'expositions, critique d'art et auteur de nombreux ouvrages sur l'art, la philosophie et la psychanalyse.

Jean Clair a eu la gentillesse de nous recevoir chez lui pour évoquer son travail, ses projets mais également la situation de l'institution muséale en France.

Pouvez-vous nous détailler un peu la genèse de cette exposition qui a connu quelques vicissitudes?

Jean Clair : L'idée initiale remonte à 1993, il y a donc 12 ans, au moment de l'exposition "L'âme au corps" au Grand Palais qui était déjà une première approche des rapports entre la science et les arts plastiques de la Révolution à nos jours. Et en particulier comment la médecine, et plus précisément la psychiatrie, a suivi un chemin très parallèle et a pu influencé le développement de l'art.

Dans cette longue histoire, s'inscrivait une autre histoire privilégiée qui est celle des rapports de la mélancolie comme humeur, comme affection, comme maladie éventuellement et la création artistique puisque depuis l'Antiquité et Aristote, la mélancolie est une humeur sacrée, noble, associée à l'idée de la création artistique et également aussi au dérèglement de la pensée sous la forme de la folie.

Pour un historien d'art, ce thème n'a rien d'original parce que la mélancolie est le tempérament le plus étroitement lié et le plus continûment lié à l'histoire de la création artistique de l'Antiquité à nos jours. Il y a des études innombrables d'historiens d'art et d'historiens des idées consacrées à ce sujet. Il n'y a donc aucune originalité ni subjectivité de ma part à avoir voulu faire cette exposition. Ce n'est pas parce que je suis mélancolique mais parce que c'est une étude précise, concrète, documentée qui méritait une exposition.

Or, à ma grande surprise, ce qui semblait tout à fait normal pour, je n'ose pas dire, un homme de science qui est aussi un historien d'art, semblait une provocation pour le commun des mortels et en particulier pour les institutions qui sont amenées à faire des expositions. On m'a objecté qu'il s'agissait d'une provocation. En France, "mélancolie" est devenu un mot tabou, on n'a pas le droit d'être mélancolique, et, en français, ce mot a perdu sa puissance d'humeur très forte, très riche. Par conséquent, en France, le mélancolique est celui qui n'arrive pas à se lever le matin, qui a des humeurs noires. Ce n'est bien sûr pas tout à fait cela; c'est plus compliqué. Et nous vivons dans une époque qui n'accepte pas la mélancolie. On doit toujours être un battant, jeune, positif, beau, en forme, souriant. Nous sommes plutôt du côté de Guignols de l'information que des gens réflexifs.

Ensuite, le climat a un peu changé et finalement cette exposition a été inscrite en 2000, puis désincrite parce vraiment on ne pouvait pas faire "La mélancolie" pour le jubilé. L'inscription a été faite sans aucun mécène, car aucun n'a voulu associé son nom à un entreprise qui était, paraît-il, vouée à l'échec. Tellement vouée à l'échec qu'il était prévu 1 000 visiteurs par jour et tiré le catalogue à 2 000 exemplaires. Et le résultat est 5 000 visiteurs par jour et la vente de tous les catalogues en 8 jours et aucun disponible pendant 15 jours. Vive les études de marché !

Malgré l'absence de mécène, comment avez-vous pu concrétiser ce projet?

Jean Clair : J'ai pu monter cette exposition grâce à l'appui des musées de Berlin qui ont accepté un mécénat partiel parce qu'ils voulaient organiser cette exposition.

L'exposition partira d'ailleurs à Berlin.

Jean Clair : Oui. En février 2006.

Quelles ont été les lignes directrices de ce projet et comment avez-vous travaillé avec le scénariste Hubert Le Gall ?

Jean Clair : Il n'y a pas tellement de mystère. A partir du moment, où on adoptait un parti chronologique, ce n'était certes pas simple de concevoir une exposition sur 2 500 ans d'histoire, c'était même assez périlleux, mais la difficulté était de trouver les œuvres pour montrer la continuité de cette histoire ses variations dans la continuité. Après avoir choisi et obtenu ces oeuvres, le fait de les disposer dans l'espace a été un problème de scénographie.

Je rends hommage à Hubert Le Gall qui s'est passionné pour ce projet et qui a réussi à donner à la fois ce sentiment de continuité et celui des ruptures. Ce qui fait que l'on suit, je l'espère, l'exposition sans trop de difficulté. On voit bien comment c'est toujours la même histoire et simultanément les changements de tonalité selon l'époque. Et cela est en grande partie dû à la scénographie très claire, très lumineuse, très articulée d'Hubert Le Gall.

Il élaborait le projet et vous le soumettait?

Jean Clair : Nous avons vraiment travaillé de concert pendant 6 mois plusieurs fois par semaine. Le vrai travail est un dialogue entre le contenu de l'exposition e sa mise en espace. Et pour ce faire, il faut vraiment avoir en face de soi quelqu'un qui comprend ce dont il s'agit, Qui n'impose pas ses vues mais les modifie en fonction des œuvres et des besoins de l'exposition. Notre travail s'est déroulé de façon très heureuse et très harmonieuse.

Aujourd'hui, quel est votre sentiment face au succès considérable de cette exposition?

Jean Clair : J'éprouve un sentiment de satisfaction, la satisfaction de quelqu'un qui a eu raison, qui n'est pas une satisfaction très agréable. Les allemands appellent cela " Schlechte Freude" qui veut dire "joie mauvaise". Je trouve absolument scandaleux dans un pays comme la France que l'on soumette le choix des expositions à des enquêtes de marché en pensant que cela fonctionne. Or cela ne marche pas, on se plante à chaque fois.

Il y a un public pour les expositions un peu ambitieuses intellectuellement mais on prend les français pour des imbéciles et qui sont manipulés par de gens qui font du marketing et qui sont très bien payés, beaucoup plus que les conservateurs de musée et qui sont de parfaits crétins. Ce qui constitue une cause de la décadence intellectuelle en France actuellement.

Vous avez écrit avoir connu l'âge d'or des musées et craindre l'avenir avec un énarque à la tête des institutions muséales. Pensez-vous que ce scénario catastrophe se réalisera à court terme et que ce phénomène soit irréversible ?

Jean Clair : Cela a déjà commencé. Le temps des grandes expositions ambitieuses est passé. Même si potentiellement il existe un public pour ces expositions, il n'y a plus personne pour les défendre. Le monde des musées que je croyais un monde fermé et protégé subit la même dégradation que celle subie par la télévision en l'espace de 15 ans. On est passé d'une télévision ambitieuse à une télévision d'une nullité te d'une grossièreté consternantes. Il en va de même dans le monde de musées et je trouve cela désolant.

Vous dites également que malgré cela que la création plastique continue ailleurs (galeries d'art cinéma, danse, art vidéo)?

Jean Clair : Oui, pour l'art contemporain qui connaît d'autres problèmes qui sont différents de ceux rencontrés en matière d'expositions d'art historique.

Compte tenu de votre âge, s'agit-il de votre dernière exposition?

Jean Clair : Non. J'ai d'autres projets. Il y en a déjà 3 sur lesquels je travaille. Mais pour le moment, c'en est terminé avec l'administration qui s'occupe des expositions sur Paris, et bien heureusement ! Mais j'ai des projets avec l'Amérique d nord, la Suisse, l'Italie et en nombre supérieur à ce que je pourrais en faire.

Des projets à l'étranger, cela veut dit-il dire que ces expositions venant ensuite en France, on vous retrouverait donc? Cela constituerait un joli pied de nez !

Jean Clair : C'est très possible ! Effectivement, ce serait un joli pied de nez !

L'un de ces projets est-il en voie de concrétisation?

Jean Clair : Je préfère ne pas en parler car je suis superstitieux.

Vous avez été commissaire de l'expo "Vienne. 1880 – 1938 : naissance d'un siècle" à Beaubourg il y a 20 ans. Que pensez-vous de l'expo Vienne 1900 qui se tient actuellement au Grand Palais?

Jean Clair : Ce n'est pas une exposition. C'est la juxtaposition de 4 artistes, Klimt, Schiele, Kokoschka et Kolo Moser qui sont mis sur des murs sans aucune raison, sans aucune logique, sans aucun sens avec la présence de Moser qui est un très mauvais peintre et dont on se demande les raisons de 40 de ses peintures parmi des 3 grands artistes que sont Klimt, Schiele et Kokoschka.

Il s'agit donc d'une exposition sans queue ni tête et qui résulte simplement d'un accord commercial avec le musée privé Léopold à Vienne, ce qui constitue un bon signe de la dégradation non seulement intellectuelle mais morale de l'organisation des musées de France.

Actuellement, y a-t-il en France, en cours ou à venir, une exposition que vous recommanderiez?

Jean Clair : L'exposition Dada à Beaubourg est une excellente exposition remarquablement faite, intelligente, historiquement juste. Ce qui, accessoirement, atteste de ma curiosité pour l'avant-garde en art à condition qu'elle ait un sens et qu'elle soit bien présentée.

Vos prises de position suscitent toujours des réactions, des polémiques, par exemple avec votre ouvrage "Du surréalisme considéré dans ses rapports au totalitarisme et aux tables tournantes" ou le dernier en date "De immundo" ce qui est bon pour la discussion mais aussi des attaques personnelles . On vous qualifie de "bonimenteur médiatique", de "loustic cuistre et bouffon". Comment réagissez-vous?

Jean Clair : Ces réactions sont moins nombreuses car il y a de plus en plus de gens qui partagent moins point de vue. Bien sûr, c'est toujours désagréable de se faire insulter. Cela étant, compte tenu de la personnalité des insulteurs, ça ne m'empêche pas de dormir, bien évidemment.

Votre livre "De immundo" s'érige contre une tendance de l'art contemporain scatologique et vous faîtes un parallèle avec l'état de la société.

Jean Clair : Je trouve très étonnant qu'une grande partie des artistes contemporains fonctionne avec des sécrétions et du stercoraire pour être poli, vulgairement on appelle cela de la merde. Et quand cela finit par occuper beaucoup de galeries et d'expositions, on est amené à s'interroger sur le phénomène. Et ce qui m'a le plus frappé est que ces expositions qui sont subventionnées par les pouvoirs publics. Donc je me suis interrogé sur l'intérêt de ceux-ci à subventionner un art qui trouve ses matériaux dans les cloaques et les égouts.

Que pensez-vous de la politique culturelle actuelle par rapport au passé ?

Jean Clair : Par rapport au passé, je ne sais pas mais par rapport à d'autres pays, comme l'Allemagne ou l'Italie, je suis quand même très étonné de ce que l'histoire de l'art n'est toujours pas enseignée en France. Qu'il y ait une grande affluence pour les expositions, e parfois des expositions difficiles, c'est une très bonne chose mais cela risque d'être un feu de paille si on ne prend pas le soin de donner aux visiteurs, qui ont envie de comprendre l'art, les moyens de le comprendre.

Mais dans la mesure où on n'apprend plus à lire… le problème est beaucoup plus général que simplement l'initiation à l'histoire de l'art. C'est un effondrement général de l'éducation, oserai-je dire nationale comme on l'appelait autrefois.

Vous n'êtes donc pas très optimiste?

Jean Clair. Non. Il n'y aucune raison de l'être.

 

A lire aussi sur Froggy's Delight :

La chronique sur l'exposition Mélancolie au Grand Palais
La chronique sur l'exposition Vienne au Grand Palais
La chronique sur l'exposition Dada au Centre Pompidou


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