Beethoven, un nouveau manifeste
(Editions Hortus) septembre 2020
Rien n’est plus intéressant, rien n’est plus enthousiasmant qu’un disque où à la virtuosité se partage une intelligence, une véritable recherche, un geste musical. C’est le cas dans ce magnifique disque du pianiste Simon Zaoui consacré aux sonates n°1, 3 et 13 de Beethoven.
"J’avais bien évidemment envie d’apporter modestement ma pierre à cette année Beethoven, qui promettait, avant les annulations COVID, d’être bien remplie en concerts avec notamment deux intégrales des sonates, à trois pianistes, au Liban et en Espagne".
Alors un disque consacré à Beethoven mais pas simplement un disque de plus. Déjà à cause du répertoire, qui contrairement à une flopée d’autres disques ne s’intéresse pas aux dernières sonates et puis l’utilisation d’un piano Gebauhr. "Je cherchais un "angle" comme disent les journalistes, sachant que ce 250ème anniversaire serait un véritable déluge de sorties discographiques. Ayant suivi les cours de pianoforte de Patrick Cohen au CNSMDP, je suis familier avec les instruments de la fin du XVIIIème siècle. Mais je les ai toujours trouvés plus adaptés au classicisme viennois de Haydn ou à la grâce mozartienne qu’à la puissance tellurique de Beethoven. Un jour en relisant mon Charles Rosen, je suis tombé sur une phrase de la préface : "J’ai toujours pensé que les instruments issus de changements stylistiques étaient souvent préférables, pour jouer la musique qui avait été à l’origine de leur invention, à ceux, moins perfectionnés, dont disposait le compositeur." Ayant toujours eu une affinité particulière pour les pianos romantiques (Erard, Pleyel etc..), je me suis mis en quête d’un instrument qui conviendrait aux œuvres du jeune Beethoven.
C’est le restaurateur de piano Jean-Marc Touron qui m’a proposé son Gebauhr, instrument viennois des années 1850. Ce fut un véritable coup de foudre, car il me semblait avoir la puissance, la rondeur mais surtout la transparence idéale pour faire ressortir de ces sonates la substantifique moëlle. Il y a eu un gros travail en amont de la part de Jean-Marc Touron, l’instrument n’avait pas été joué depuis longtemps, et n’avait jamais servi pour un enregistrement, chose qui demande un haut niveau de fiabilité mécanique ainsi que de supprimer bon nombre de petits bruits et résonances parasites (pédale, étouffoirs, mécanique etc.)".
Fondée par Carl Julius Gebauhr en 1834 en Prusse orientale, aujourd’hui Kaliningrad en Russie, sa firme fut l’une des plus importantes firmes allemandes de facture instrumentale du XIXe siècle. Avec sa mécanique viennoise, avec ses marteaux garnis de feutre et recouverts d’une fine couche de cuir, ce piano possède une sonorité, des caractéristiques de dynamiques particulières. Des caractéristiques qui conviennent parfaitement à ce répertoire mais qui ont demandé une adaptation au pianiste : "J’ai pu disposer du piano pendant quelques mois au conservatoire de Vincennes, où j’enseigne. Préparation indispensable, car si d’un côté ce piano sonne (à mon sens) naturellement comme un orchestre romantique (on entend beaucoup la couleur du bois dans le son), son âge et sa mécanique viennoise à simple échappement rendent difficiles nombre de détails. J’étais parti dans l’idée de coller le plus possible aux tempi indiquer par Czerny, élève de Beethoven (qui dégagent souvent une grande force et logique agogique)".
Le résultat est absolument magnifique. Nous sommes conquis par cette sonorité dans tout le registre du piano, par ces phrasés, par ces dynamiques qui suscitent un véritable intérêt. Cela rend plus évident encore l’architecture de ces sonates, les motifs, l’écriture orchestrale de la sonate n°3, les mouvements de la n°13, rajoute notamment de l’ambiguïté dans le final de cette même sonate, entre humour et dramatisme... Superbe !
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